Réveil sous la pluie

Quelque part dans la foret, en marge de tout repère connu, au bord d'un sentier si étroit qu'il en est presque indiscernable, au milieu des hautes herbes, sur un tapis d'humus et de feuilles mortes, au pied d'un arbre ruisselant dominant les environs de sa hauteur, quelque chose vient de bouger.

D'abord, un doigt remue, dans l'herbe. Puis, c'est une main trempée, qui commence à s'agiter. Une paupière s'ouvre. Puis un autre. Deux yeux embués semblent soudain s'animer. Une paire de jambe se tend, une paire de bras s'étire. Lentement, la forme affalée, presque indiscernable dans le milieu ambiant, commence à prendre vie. Puis lentement, précautionneusement, elle se redresse, prends de la hauteur. Les deux jambes parviennent enfin à soutenir le reste du corps, et l'ensemble se redresse comme une branche qui serait demeurée courbée trop longtemps. Enfin, cela prend sa posture définitive, une haute silhouette humaine drapée de noir, dotée de membres interminables et de deux yeux perçants. Orillion vient de se réveiller. Il regarde autours de lui, lentement, et analyse la situation.

Et quelque chose ne va pas.

Il réfléchit rapidement. Bon bien sur, il trouve rapidement la première cause évidente du problème: lui-même, comme d'habitude. Il se remémore rapidement les différentes erreurs qu'il a commises, la liste de ses échecs et les conséquences désastreuses qu'elles ont eues, du moins de son point de vue. Et il est rapidement obligé d'en faire un résumé s'il ne veut pas y passer la journée. Sauf que ça, c'est normal, habituel. Il doit donc y avoir autre chose.

Sa façon de se réveiller, tout d'abord. Normalement, il s'assure toujours de se trouver un coin à l'ombre, de préférence situé sur une hauteur ou un endroit difficilement accessible: question de sécurité. Or, le fait de s'être réveillé ici impliquerait qu'il se soit endormi sans précautions:s'il convient certes avoir un bon nombre (bon, OK, un nombre INCALCULABLE) de défauts, l'insouciance n'en a jamais fait partie. L'autre solution serait qu'il se soit endormi brusquement, mais, se connaissant, ce n'est pas plus envisageable. Il aurait pu aussi se faire agresser et assommer par surprise: mais, dans ce cas, il n'y a aucune raison pour qu'on l'ait laissé en vie.

Autre chose: son état. Il sait déjà n'être qu'un faible humain incapable de se protéger ou de protéger les autres et... (Je vous épargne une trentaine de ligne d'autodépréciation aussi inutile que fastidieuse), mais là, il se sent vraiment dans un sale état: il se trouve lourd, courbaturé, faible (encore plus que d'habitude) et sens comme un malaise en lui, qu'il n'arrive pas à situer. Peut-être les séquelles de son combat contre cette chimère se font-elles encore sentir; vu son médiocre niveau, cela ne l'étonnerait guère. Il faudrait quand même qu'il s'échauffe un peu: rien de tel qu'un ou deux katas pour se remettre en forme.

Ses vêtements, aussi. Il a beau se creuser les méninges, il n'arrive pas à situer le moment ou il a obtenu ce manteau. Certes celui-ci lui allait parfaitement, quoique sans doute un peu trop lourd pour se battre efficacement. Il remarqua même les reprises qu'il avait l'habitude de faire sur ses manches: il devait donc l'avoir depuis un certain temps. Mais rien. Aucun souvenir le concernant. Etrange.

Enfin, il comprit ce qui clochait. Ce qui le déstabilisait. C'était tellement évident, tellement banal, et pourtant si inattendu. Logique et pourtant incompréhensible. Quelque chose qu'il n'avait pas ressenti depuis qu'il était dans cette vallée. Quelque chose qu'il avait sous son nez depuis le début, mais qu'il n'avait pas songé à relever.

*Il pleut.*

De la pitié méprisante, voilà ce qu’inspire Tabissa. Sa lèvre inférieure saigne, les crevasses que l’hiver a ouvertes ne se referment pas. Les gouttes de pluie glacées tombent comme des pointes de flèches dans ses blessures ; mais elle ne souffrepas. Son corps est gourd, la seule chose qu’elle ressent vraiment c’est cette douleur sourde, immatérielle, la douleur de l’âme, la douleur d’être. Et cette souffrance infinie anesthésie son corps, emprisonne ses sens, elle n’est qu’un esprit lié à un corps de femme. A chaque pas elle se sent plus faible, plus méprisable, plus insignifiante. Et son dos ploie sous le poids de ce tourment grandissant. Elle ne ressemble pas vraiment à une humaine. La pluie a plaqué ses cheveux sur ses yeux si bien qu’on distingue mal le haut de son visage. Les contours de ses lèvres violacées figées dans un rictus teinté d’une ironie cynique se dessinent parfaitement sur sa peau laiteuse. Ses bras et ses mains pendent mollement le long de son corps, où trouve-t-elle la force de marcher ? Ses pieds se traînent difficilement dans la boue, elle y est enlisée jusqu’à la cheville. Ses épaules et son dos presque entièrement nu étaient couverts de marques rouges. La sève acide qui coule le long des nervures des feuilles ronge l’épiderme de sa peau ; la ronge tout entière.

Un fantôme, un démon ? Ses longs doigts tremblant de froid se glissent dans les nœuds de sa chevelure. A la boue incrustée sous ongles nacrésse mêlent ses cheveux humides. Elle écarte une mèche, découvrant des yeux boursouflés, parcourus d’une multitude de veines rouges. Ils sont vides, des larmes coulent le long de ses joues, par habitude. Elle se perd, perd en elle-même. Ses yeux vitreux se lèvent vers la cime des arbres. Une sinistre chanson s’impose à elle. Où l’a-t-elle entendue ? A Londres sans doute, dans un café sans doute… Tabissa fredonne mécaniquement, sans vraiment s’en rendre compte :



Si peu de temps passés en tant que nouvelle humaine, elle commence déjà à se retransformer. Personne n’est là pour arrêter le flot de pensées morbides qui déferlent en elle. Ce qui au début n’était qu’une brèche dans le mur de l’espoir est à présent un creux, et les pierres cèdent une a une. La pression est trop forte. Un liquide noir venimeux s’échappe, il est comme la sève des arbres : il désagrège. Elle trébuche sur un pied. Son regard en cherche un autre, un humain, une ombre, une chimère ? Les sentiments de l’humaine remontent à la surface, la réalité lui saute à la figure. Son coeur s’emballe, ses nerfs à vif crient sans cesse depuis qu’elle a passé la lisière de la forêt, mais ils ne se heurtent plus à rien. Et il ne faut qu’une seconde pour que tout son corps hurle qu’il a mal, un cri aigu continu sort de sa gorge. Ses larmes ne sont plus injustifiées, l’horreur s’installe dans ses yeux lorsqu’elle voit l’état de ses bras.

Cette heure passée à errer dans la forêt n’a pas été sans dommages. Elle se couvre la tête de ses mains. Quelle folie s'est emparée d'elle à tel point qu'elle en oublie la souffrance ? A tel point qu'elle ne se soucie plus d'elle même, qu'elle veuille mourir ? C'est comme si elle ne se connaissait plus... Pourtant il ne s'est rien passé ! Enfin, elle en est persuadée, même si elle n'arrive toujours pas à s'expliquer son évanouissement et son réveil à un autre endroit. Tout est étrange ici, une chose de plus ou de moins... Elle a appris que la vallée ne livre pas ses secrets, alors se poser trop de questions c'est se faire du mal, se rendre fou. Mieux vaut prendre les choses comme elles viennent, ne penser qu'à sa survie, se méfier et rester dans une ignorance totale. Adopter un comportement certes bestial mais nécessaire, voir indispensable à la survie. Tabissa ne savait pas ce qui était le pire entre devenir une créature ou mourir.

* Qu’est ce qui m’est arrivé ?
Ces sentiments… Effrayants…
Des sentiments d'Ombres...
Je ne veux plus jamais ressentir ça, je ne veux pas être condamnée à ressentir cela jusqu'à la fin des temps !
Non, je dois résister ! Je le dois !
Mais le puis-je vraiment ? *

Tabissa avait totalement oublié la présence à côté d'elle. Si tout à l'heure il n'y avait de place que pour sa douleur morale, à présent elle ne pouvait penser qu'à sa douleur physique. Elle ressentait chaque parcelle de sa peau et elle avait la sensation d'être en feu. Elle était effrayée, terrorisée par elle-même, mais se fuir soi-même est impossible. Au moins la douleur physique lui permettait de ne pas retomber sous le joug de l'Ombre qui l'habitait, la traquait comme un animal pour la piéger. Et elle y arriverait...

Orillion était encore plongé dans les abîmes insondables de sa perplexité lorsqu'elle arriva. Il ne comprenait pas, il réfléchissait, il essayait de se souvenir. En vain. Aucun souvenir, aucune réflexion ne pouvait expliquer ce qu'il sentait en lui.
Il s'était endormis sans s'en rendre compte, sous un temps qui était demeuré sec depuis son arrivé. Il se réveillait à un endroit ou il n'aurait jamais du se trouver, sous une pluie battante, vêtu différemment, dans un état de faiblesse inhabituel et incapable de résonner de façon cohérente. Et il y avait ce sentiment. Ce gène qu'il sentait naître et croître au plus profond de lui-même. Cette impression qu'il avait perdu quelque chose... non, ce sentiment qu'on lui avait pris quelque chose. Que se passait-il?
*Et bien, je m'apitoie sur toi-même, à présent? Ca ne m'étonne pas, mais c'est consternant. Reprends-toi, pauvre loque, tu crois peut-être que c'est digne de toi de te lamenter sur ton sort? Peut importe ce qu'on t'a pris, de tout manière ce n'est pas comme si tu méritait quoi que se soit. Alors relève-toi, et agit!".

Un léger bruit derrière lui l'arracha à ses pensées. D'un mouvement vif, il se retourna, prêt à combattre et se maudissant lui-même de s'être laissé distraire. Mais manifestement, il ne s'agissait pas d'une créature cherchant à faire de lui sa proie. Il s'agissait d'une jeune femme apparemment humaine, encore que les apparences pouvaient être trompeuses dans cette vallée. Elle était dans un sale état, à croire qu'elle s'était fait pourchasser par toutes les chimères de la vallée à travers la forêt. Cependant, elle ne paraissait pas prêter la moindre attention à son environnement, encore moins à l'insignifiante silhouette sombre qui se demandait encore comment il devait réagir.

*Elle ne m'a pas vue. Elle ne sait pas que je suis là.* Il ne servait à rien de se révéler: se lier avec des humains n'avait jamais été dans ses priorités. De plus, il restait toujours un risque pour qu'il s'agisse d'une créature déguisée, et le jeune homme gardait un assez mauvais souvenir de sa précédente rencontre avec ceux-ci. C'était donc le bon moment pour filer discrètement. *Et puis quoi encore. Est-ce la peur qui me dicte ma conduite à présent? Si c'est une créature, il faut l'affronter et la vaincre, ou mourir en essayant. La fuite n'est pas une option. Si c'est une humaine* Il réfléchit un instant. Elle était blessée et semblait complètement désorienté. Peut-être avait-elle besoin d'aide. En ce cas, rien ne s'opposait donc à ce qu'il entre en contact avec elle. Il cogita encore quelques instant avant de prendre enfin sa décision.

-Qui es-tu?

Une question sans doute trop directe, trop brutale, prononcée de sa voix grave et à peine audible, mais c'était tout ce qu'il était en mesure de fournir: ces mois d'isolement n'avaient certainement pas améliorée ses compétences en matière de sociabilité.

Marchant sous la pluie battante depuis son éveil dans cette clairière inconnue, Anthemis regardait le paysage avec une curiosité non dissimulée. Celui-ci lui paraissait à la fois tellement familier, et en même temps si effrayant... Pourtant, rien hormis ses propres craintes intérieures n'était de nature à lui faire le moindre mal. La forêt ou la jeune femme s'était enfoncé ressemblait à n'importe quelle autre forêt, en dépit de l'aspect quelque peu sinistre de celle-ci. Mais en réalité, ce n'était pas tant le paysage en lui-même qui faisait frissonner la jeune amnésique, que la pluie qui traversait maintenant ses fins vêtements d'été qui collaient maintenant à son corps en laissant apparaitre ses formes qui, s'il elles n'étaient pas les plus généreuses du monde, n'en demeuraient pas moins d'une très honnête moyenne. De cela elle en était certaine, tout comme elle était l'était du fait qu'avant de s'endormir sans raison la saison était bien celle de l'été.

Ecartant d'un geste de la main les mèches de ses cheveux qui se plaquaient contre son visage humide, Anthemis stoppa net sa marche... Etait-ce bien une voix qu'elle venait d'entendre..? Elle n'en était pas vraiment certaine, car le bruissement de la pluie tombant en rafale contre la forêt rendait l'audition des autres bruits nettement plus hasardeux. Toutefois, cela la rassura quelque peu. En effet, si il y avait quelqu'un ici, alors cette personne pourrait lui dire quel était cet endroit inconnu d'elle, et ensuite elle pourrait retourner chez elle... Du moins, Anthemis le pourrait-elle si c'était la une chose dont elle se souvenait... Mais comme le disait si justement le diction, chaque chose en son temps et un temps pour chaque chose... La première chose à faire était de retrouver le propriétaire de cette voix, qu'il lui avait semblé entendre au loin.

Les bras croisés sur sa poitrine, Anthemis avança dans la direction d'ou lui avait parut venir la voix. Elle marcha finalement moins de temps qu'elle ne l'avait pensé, et non loin de sa position, elle aperçu un homme... Non... Plutôt, un homme et une femme... Blessée..? En tout cas, elle paraissait ne pas pouvoir se relever mais de sa position, la jeune femme ne pouvait jurer de rien. Finalement, et ne sachant pas vraiment quoi faire d'autre, elle avança jusqu'à arriver à quelques mètres des deux inconnus... Malgré tout prudente en dépit de son amnésie évidente, Anthemis demeura distante vis-à-vis de ceux-ci, et se contenta d'un bête :

"Salut... Vous allez bien..? Désolée de vous déranger, mais... Pouvez-vous me dire ou je suis s'il vous plait..?"

La question était sans doute stupide, mais la situation ne l'était finalement pas moins... Se réveiller amnésique au milieu de nul part, c'était vraiment... Surréaliste !

Pour la deuxième fois en moins de cinq minutes, Orillion se retourna en une fraction de seconde, replié sur lui même, prêt à frapper. Puis, comme la première fois, il se remit dans une position plus neutre, sans pour autant relâcher un instant sa concentration.

Une deuxième personne se tenait à quelques mètres de lui. Indéniablement féminin, sans doute de quelques années son aînée, elle semblait en bien meilleur état que la précédente malgré un air légèrement perdu. Pourtant, elle était parvenue à s'approcher à une distance incroyablement courte sans attirer son attention. Le jeune homme s'admonesta lui-même: laisser un être vivant s'approcher d'aussi près était faire preuve d'une négligence pouvant s'avérer fatale. Certes, il était possible que la pluie ait altéré ses sens; mais il était également possible qu'elle ait utilisée des compétences d'ombre. A partir de cet instant, il ne la lâcha plus des yeux.

"Salut... Vous allez bien..? Désolée de vous déranger, mais... Pouvez-vous me dire ou je suis s'il vous plait..?"

Tien donc... intéressant. Ses paroles laissaient plusieurs possibilités. On pouvait déjà presque exclure l'hypothèse d'un voyageur ayant perdu son chemin: peu d'humains osaient s'aventurer seul assez profondément dans la forêt pour se perdre: et, parmi ceux-là, aucun, à sa connaissance, ne ce serait adressé à l'étrange duo de cette façon. Cela dit, il se pouvait qu'elle eut été surprise par la pluie; mais peu probable dans l'ensemble. Non, il était beaucoup plus probable qu'il s'agisse d'une nouvelle comateuse, récemment arrivée dans la vallée, trop récemment pour faire preuve de la prudence nécessaire. Restait également la troisième possibilité: celle qu'il s'agisse d'un piège tendu par l'une des deux arrivantes, peut-être par les deux. Dans le doute, mieux valait rester prudent.

"Nouvelle arrivante, hein?" Hasarda-t-il prudemment.

Tout en parlant, il s'adossa nonchalamment sur un gros rocher émergeant du sol. Un geste d'apparence anodine, mais bien pratique en vérité: ainsi, il s'assurait sans en avoir l'air que personne ne puisse le prendre à revers, tout en conservant les deux jeunes femmes dans son angle de vue.

"Où vous êtes?" il marqua une pose. "Vous êtes à Hollow Dream, dans une partie indéfinie d'une forêt dangereuse atteinte depuis peu par la pluie, peuplée actuellement par trois humains "supposés"; un lieu assez peu propice à la discussion. Et vous êtes?"

"Anthemis..."

Répondit la jeune femme dans un léger sourire de politesse, presque du tac-au-tac... Après tout, elle pouvait biens se permettre d'être affirmative sur ce simple fait, dans la mesure ou ce dernier était le seul certain dans son esprit. Elle laissa ensuite son cerveau interprété les paroles de l'inconnu... Supposés humains..? Qu'entendait-il par-là..? Que Anthemis et l'autre inconnue ne l'était pas ..? C'était là une absurdité pour la jeune femme, qui pencha légèrement la tête sur le côté en un signe évident de perplexité. Tout aussi interrogative, la laissa le nom que lui donna Orillon...

Hollow Dream..? Qu'est-ce que c'était exactement..? Le nom de la forêt..? De la ville ou bien encore de la région..? Dubitative, Anthemis plaça son index devant ses lèvres et réfléchit.Qu'elle ne se souvienne de rien, cela elle pouvait le comprendre... Elle ne savait pas comment ni pourquoi, mais elle avait visiblement tous les symptômes de l'amnésique type. Mais tout de même... Même une personne ayant perdu la mémoire, se souvenait du nom des villes, des régions, des endroits connus, ou bien atypique... Et assurément, il n'y avait pas plus atypique en ce moment, que le nom de Hollow Dream pour un endroit. Pourtant, bien qu'elle se souvenait parfaitement de sa géographie, Anthemis devait admettre que ce nom ne lui disait absolument rien. Finalement, elle se décida à poser de nouveau une question qui allait sans doute la faire passer encore un peu plus pour l'idiote de service...

"Hollow Dream vous dites..? C'est quoi exactement..? C'est le nom de cette forêt, ou bien des environs..? C'est le nom de la ville la plus proche peut-être... C'est la forêt domaniale de Hollow Dream, c'est ça..?"

Une question stupide, qui la rendait sans doute tout aussi stupide... Pourtant, Anthemis ne voyait pas ce que cela aurait pu être d'autre. Finalement, elle se désintéressa de toute cette histoire. Le plus important pour elle était de retrouver l'endroit d'où elle venait, et pour cela une seule solution pour la sans mémoire qu'elle était devenue... S'adressant de nouveau à l'inconnue qui s'était adossé à un rocher, elle lui demanda encore :

"Excusez-moi, mais... Pourriez-vous m'indiquer la direction de la ville la plus proche..? J'ai besoin de me rendre au commissariat de toute urgence... Et puis, je crois que cette femme aurait bien besoin d'un médecin, non..?"

Ajouta Anthemis, en désignant Tabissa d'une main prudente. En effet, un médecin ne serait sans doute pas de trop pour la jeune femme qui demeurait au sol, et de son côté les policiers pourront surement l'aider à retourner chez elle... Même si elle ignorait totalement ou c'était. Mais si elle avait atterri dans cette clairière déserte, cela voulait sans aucun doute dire qu'elle avait disparu de quelque part, et que quelqu'un devait bien la rechercher. Mais en même temps, la situation était vraiment étrange... Et si cet homme avait agressé cette femme gisant au sol..? Et si Anthemis avait interrompu un pervers violeur et meurtrier dans son acte criminels..? Peut-être, allait-il s'en prendre à elle, afin de ne pas laisser de témoin de son acte odieux...

Un instant, Anthemis songea à fuir... C'était sans doute lâche d'abandonner cette pauvre fille à son sort, mais visiblement le mal avait été fait, alors que pourrait-elle faire de plus pour elle..? Il valait sans doute mieux qu'elle se sauve elle-même, afin de pouvoir donner une description de l'agresseur aux force de l'ordre. Avec lenteur, Anthemis fit un ou deux pas en arrière... Si jamais l'homme tentait de s'approcher d'elle, alors elle fuirait sans se retourner...

Orillion laissa la jeune femme parler sans prendre la peine de l'interrompre. Forêt domaniale? Commissariat? Médecin? C'était assurément une nouvelle arrivante, cela ne faisait désormais aucun doute; une créature aurait beaucoup de mal à contrefaire l'ignorance de cette façon, et il n'y aurait de toute façon aucune raison pour qu'elle en prenne la peine. De plus, son oeil attentif avait capté le léger mouvement de recul de la femme, et il voyait dans son regard et son attitude un sentiment qu'il avait déjà croisé de nombreuses fois: la Peur.

Enfin, elle lui demandait de l'aide, il ne pouvait décemment pas refuser. Rassuré, il se redressa et s'éloigna légèrement du rocher.

-"Il y a bien une ville dans les environs, ou du moins quelque chose qui s'en rapproche. Quand à sa direction... encore faudrait-il savoir ou l'on se trouve actuellement. Mais avec un peu de temps elle devrait être facile à retrouver: il suffit de suivre la rivière, et on finit toujours par y arriver à un moment donné. Enfin, sauf si les Créatures vous trouvent avant. Et si vous espérez tomber sur un commissariat, vous vous êtes trompés d'univers. Quand à elle..."

Il réfléchit rapidement. Elle n'avait pas dit un mot depuis son apparition, et n'avait pas montré le moindre signe d'attention. Cependant, dans son état, il était peu probable qu'elle puisse s'en sortir seule. Et à la réflexion, il était hautement improbable que l'autre soit capable de se débrouiller avec les quelques informations qu'il venait de lui transmettre; il était plus probable qu'elles finissent toute les deux dans l'estomac d'une chimère avant longtemps. Ce qui lui laissait deux possibilités. Il chassa instantanément la première, indigne de lui; quand à la seconde... elle ne lui plaisait vraiment, mais alors vraiment pas. Mais bon, ce n'est pas comme s'il avait le choix, de toute façon; il faut croire que ses ennuis ne faisaient que commencer...

Son regard se fixa sur la première des deux femmes, qui n'avait toujours pas bougée: avant de se décider, autant en être sur. Sans autres explications, il se rapprocha d'elle à grande enjambées, sans la quitter des yeux un seul instant; il s'accroupit en face d'elle, le poings droit fermé à la hanche, prêt à frapper: s'il s'agissait d'un piège, il ne serait pas prit au dépourvu. Enfin, de sa main gauche, il claqua rapidement des doigts à hauteur de visage.

"Ca va?"

« Qui es-tu ? »

Qui est-elle ? Dans quel sens ? Physiquement parlant, une femme aux cheveux d’une couleur indéfinissable en piteux état. Psychologiquement parlant, à cet instant précis elle n’est rien. Elle n’a pas conscience d’elle-même, elle ignore jusqu’à sa capacité à penser. Ses nerfs sont endormis, elle ne sent pas la boue froide sous ses doigts. Elle ne sent pas la pluie glacée ayant réussi à franchir la barrière de feuillage ruisseler sur sa peau. L’eau bienfaitrice lavant son corps maculé de boue, rien, non rien ne peut atteindre l’âme tapie au fond de ses entrailles. Elle y est lovée, sereine, coupée de la réalité, coupée des souffrances de la vie. Elle regarde s’écouler le temps, écoute chaque délicieuse seconde de ce silence opaque. Et se moque de la pensée silencieuse. Les lèvres cousues par un fil invisible, elle se tortille comme un ver, les joues rouges de rage. Dans le monde du silence, les sentiments n’ont pas d’emprise.
Ni Ombre, ni humaine. Elle était.

Quelques secondes passent avant que le corps de Tabissa ne reprenne vie. La lente machine se remet en marche, la pensée retrouve sa liberté, crachant un flot d’injures en guise de bienvenue au souffle de vie. Le temps est trop précieux, il faut que le désespoir reconquière le cœur de l’humaine. Qu’il profite de ces quelques instants de dissociation avec la réalité pour la soumettre, tout juste corrompre ses sentiments d’humaine pour en faire des atouts. Les utiliser pour piéger les deux humains à proximité, les mettre en confiance, puis la transformer au bon moment… Tabissa sera la marionnette de Tabissa. L’Ombre se nuit à elle-même pour arriver à ses fins.

*Ma douce enfant,
Apprécies-tu ce monde du silence ?
Ici tu es invulnérable, entends-tu les loups hurler, se heurter à ton bouclier ?
Leurs griffes et leurs crocs se brisent contre lui…
Tu es seule maîtresse de ces lieux,
Personne ne peut t’atteindre, personne ne peut te faire souffrir…
Même la solitude est faible, tu peux l’écraser d’un doigt,La chasser tel un hôte importun,
Le désires-tu pour l’éternité ?
Tu es ici dans ton élément, il n’existe de cieux plus cléments,
Les funambules, tu sais, lorsqu’ils font leur premiers pas ont besoin d’une main pour les guider,
Je serai cette main protectrice, je te rassurerai, je t’aiderai à te relever quand tu tomberas,
Et dehors, puisque le glas de l’heure de ta mort n’a pas encore sonné,
Je mènerai aussi la danse, je te délesterai de la souffrance,
Je l’absorberai et ne t’en importunerai pas,
Je serai tes yeux, tes sens *

Elle sent l’odeur des arbres. Elle frissonne de ces longs filets d’eau qui sinuent dans son dos. Ses mains, enfoncées dans la boue jusqu’aux poignets, sont engourdies. Elle n’est plus seule en tête à tête avec la voix perfide. Ses sens l’attirent hors d’elle-même. L’influence de l’Ombre est diminuée, elle hurle pour se faire entendre. Tabissa est en train de lui échapper.



Les paupières de la jeune femme s’ouvrent, le marron de la boue lui saute aux yeux, en même temps qu’un voile de larmes glisse sur ses yeux. La douleur revient, elle serre les dents.

* Tu ne veux pas de ça, n’est-ce pas ?
Laisse moi supporter ce fardeau à ta place,
C’est cette réalité que tu cherches dis-moi ?
Qu’a-t-elle d’attrayante ?
Ses bêtes sanguinaires sans doute…
Ou penses-tu plutôt à ces humains hypocrites qui promettent leur aide et foutent le camp au premier son étrange ?*

Sa peau à vif lui fait mal, mais elle souffre en silence. La douleur est plus supportable qu'auparavant, elle tente de se concentrer sur ce qui l'entoure plutôt que sur elle-même. Un léger bourdonnement parvient à ses oreilles, elle se rappelle avoir trébuché sur le pied d’un homme, mais la seconde voix, d’où sort-elle ? Elle réussit à comprendre un mot : urgence.
La boue devient floue, les racines des arbres se tordent jusqu’à disparaître, et la réalité est engloutie par le passé. Elle se revoit quelques années plus tôt pense-t-elle, un plateau à la main en train de courir entre les tables. Elle repousse une main gigantesque appartenant à un vieux cheminot édenté. S’il l’avait touché elle lui aurait craché à la figure, Mr R. l’avait menacée de la foutre dehors si elle recommençait « ça ». « Ca » c’était une journée harassante, une fatigue accumulée, une main baladeuse de trop à laquelle succéda hurlement strident et une pluie de coups. A présent elle est derrière le comptoir, et la voix grave de son patron tonne :

« Téléphone ! Une urgence ! Dépêche toi ! »

*Maman est morte *

Une forme noire passe devant son champ de vision, deux doigts claquent juste sous son nez.

« Ca va ? »

Elle grimace.

*Trop proche *

Elle saute sur ses deux pieds, du moins elle essaie... Ses pieds nus glissent dans la boue trop meuble et son corps bascule en arrière. Et en quelques secondes elle se retrouve allongée sur le sol, encore plus sale qu’auparavant. La chute a tout de même pour avantage de l’avoir éloignée d’Orillion, cependant il y a toujours cette femme. Où est-elle ? Ses yeux balaient rapidement les alentours, elle finit par la voir à quelques foulées derrière elle. Elle se plaque contre un arbre et se relève, personne ne pourra venir de derrière. Elle dévisage minutieusement Orillion et Anthémis, tentant de percer à jour une quelconque créature sous les traits de leur visage.
Mais les yeux noirs d’Orillion ne semblent pas abriter de méchanceté, juste une méfiance excessive dû au trop long temps passé à errer dans Hollow Dream. Elle frissonne en croisant le regard noir de l’homme, trop profond, trop mystérieux. Il donne l’impression de la sonder, Tabissa reporte son regard sur la femme. Très belle femme en vérité, et Tabissa y retrouve un regard tout aussi troublant que celui d’Orillion, bien que moins dur, moins juge. Et cette fois-ci, elle est quasiment certaine, enfin au premier abord, qu’elle est inoffensive, du moins est-elle humaine.

L’ancienne Ombre baisse les yeux, elle regarde ses pieds comme une enfant intimidée. Il serait tant de parler, mais pour dire quoi ? La seule chose qu’elle souhaite savoir pour l’instant, c’est si elle a affaire à des humains. Elle pourrait comme Orillion demander « Qui êtes-vous ? » Mais ils répondraient probablement au premier sens que l’on donne à la question. Et à vrai dire qui ils sont, elle s’en fout, ou plutôt elle ne veut pas savoir. Elle ne veut pas s’attacher à qui que ce soit.
Si l’homme semble savoir où il est, la femme a l’air un peu perdu, et au vu de son accoutrement elle n’est pas là depuis bien longtemps -d’ailleurs l’habit est étrange- Or Tabissa a déjà recueilli une nouvelle arrivante, et elle ne souhaite pas réitérer l’expérience. Non, elle a déjà l’esprit suffisamment embrouiller, le moment est mal choisi pour s’attacher un boulet au pied ! Une goutte de rosée tombe d’une feuille et va s’écraser sur son épaule, coupant court à ses réflexions.

« Je crois que l’endroit est inapproprié pour une longue conversation. A moins que cela vous amuse de regarder les arbres percer votre peau de trous, moi ça ne m’enchante pas.
Le printemps semble avoir rendu la vallée encore plus dangereuse qu’auparavant. »

Elle a à peu près résumé la situation, campé le décor pour Anthémis. C’est peut être un peu sec comme entrée en matière, peu importe. Elle se tourne vers Orillion en fronçant légèrement les sourcils.

« Excusez-moi, cela doit paraître un peu étrange… Il y a quelques minutes j’étais presque face contre terre, peut-être me vouiez vous déjà à la mort. Merci de m’avoir sortie de mes pensées. »

* Merci d’avoir fait taire La voix pour un moment.*

Trois grand pin bordaient ce qui ressemblait à un petit cours d'eau au-dessus duquel flottait tel un fantôme, une brume opaque et blanche... À quelques mètres à peine de là, une silhouette était étendue dans les feuilles couleur de feu et craquantes sa robe pâle e ses cheveux blonds étendus tel une auréole autour de sa tête... Quelques feuilles s'étaient emprisonées dans ses long cheveux couleur de blé.... Quelques gouttes de pluie se frayèrent un chemin entre feuilles et branches des grands arbes entourant le corps immobile pour se rendre sur les paupières de la jeune femme... Après deux goutelettes, la jeune femme ouvrit les yeux d'un coup... Tout son être lui brûlait ses poumons réclamant à grand cri l'oxygène qui manquait à tout son corps depuis trop longtemps déjà... Sa bouche encor légèrement rouge s'ouvrit rapidement prenant une bruyante inspiration comme si elle avait passé près de se noyer...

Savi s'assisa dans les feuilles portant une main à sa gorge comme si ce mouvement desespéré pourrait aider la jeune espagnole... Son instinct de survie se calma et elle prit le temps de regarder autour d'elle, ses cheveux blonds parsemés de morceaux de feuilles jaunes et rouges... Sa robe blanche était légèrement humide dans le bas et à certains autres endroits à causes des gouttes de pluie... Ses sourcils se froncèrent se demandant comment elle vait put se rendre dan sune telle clairière alors qu'elle était à Madrid quelques instants auparavant.. Elle regarda ses bras, s'attardant sur les traces laissées par les seringues, se demandant pourquoi elle avait de telles blessures... Puis, elle remarqua le lourd silence qui hantait la foret...il manquait les klaxons, les bruits des crissements de pneus, les discussions des piétons... où était-elle donc tombée? que lui était-il arrivé? Elle porta les doigts à ses tempes un violent mal de tête s'étant imposé... Elle se leva doucemnet.. Depuis combien de temps était-elle ici??? Elle retira un morceau de feuille et des brindilles de ses cheveux, y en laissant tout de même la majorité...

Puis, elle les entendits.... Des voix... Il y avit des personnes non-loin... La jeuen femme passa près des trois grands pins et des quelques feuillus laissant tomber leur feuilles sur son passage, les gouttes de pluie tombant sur sa tête et sur sa robe blanche.... Au détour d'un petit arbre, elle tomba dans une petit clairière où se tenaient 3 personnes... un frisson la parcourut violemment l'eau s'insinuant sous sa robe fine et plaquait ses cheveux sur son crâne... elle ressemblait à un fantôme, une apparition.... Elle hésita un instant avant de s'avancer et poser la question qui lui brulait les lèvres croyant toujours être à Madrid, la jeune femme les interpella en espagnol...

-Buenas! Pardon me pero donde somos? No reconocido este lugar...

Puis elle se rappella des mots qui avaient résonnés dans la clairière... Non, ce n'était pas de l'espagnol... Elle tenta à nouveau sa chance, avec une autre langue cette fois, tout aussi populaire à Madrid... L'espagne ayant une frontière commune avec la france, elle se risqa avec une langue plus connue sans doute,son accent restant tout de meme reconnaissable...

-Bonjour.... Pardonnez-moi mais l'un d'entre vous peut-il me dire où nous sommes? je croit que je suis, c'est stupide à dire, mais je croit que je suis perdue....

Même amnésique, Anthemis comprenait cependant une chose... Il y avait quelque chose d'étrange ici, et les deux inconnus n'étaient pas les moins bizarre de tous l'ensemble du tableau. La femme s'était finalement relevé, avec difficulté certes, mais visiblement un médecin n'était pas aussi crucial que Anthemis l'avait tout d'abord pensé... Et l'homme n'était pas, à son grand soulagement, le violeur pervers et sadique qu'elle avait imaginé quelques instants plus tôt. Ceci dit, leurs propos étaient des plus étrange...

Comme elle ne pensait, il y avait bien une ville tout près d'ici, mais l'homme lui-même ne semblait pas savoir à quel endroit exactement. Suivre la rivière, lui avait-il dit... Ha oui... Il est certain que ça, jamais elle n'aurait pensé à le faire... Et tant qu'elle y était, il fallait aussi que Anthemis relève les traces des animaux pour trouver précisément la direction à suivre..? Vous parlez d'un conseil, c'était bien la peine... De plus, il doutait que la jeune femme trouve un commissariat et Anthemis craignit tout à coup de se retrouver dans un de ces villages perdu au fin fond de la campagne profonde... Siu tel était le cas, elle n'était pas sorti de l'auberge !

Les propos de la femme n'étaient guère plus compréhensible cela dit... une vallée plus dangereuse..? Des arbres qui vous font des trous dans le corps..? La seule information logique était le fait qu'ils soient au printemps, ce qui, en même temps, était une absurdité complete... Car même si Anthemis avait une mémoire qui lui faisait défaut, elle savait bien qu'avant de se retrouver dans cette endroit inconnu, c'était bel et bien l'été, un été flamboyant, ou le soleil vous faisait baisser les yeux devant la puissance de ses rayons, et qui vous caressait délicieusement la peau avec une chaleureuse chaleur qui vous apaisait doucement... Pourtant, elle devait se rendre à l'évidence... L'été ne baignait pas cet endroit. Alors finalement, c'était le printemps..? Anthemis ne comprenait pas... Elle ne comprenait plus... Et ces deux là ne lui serait visiblement pas d'un grand secours, pour leurs propos des plus abscons. D'ailleurs, eux-mêmes n'étaient clairement pas amis.

Anthemis s'apprêta à les laisser discuter tranquillement entre eux, et accessoirement se mettre en sécurité par pure précaution, lorsqu'une nouvelle inconnue fit irruption. Avec celle-ci au moins, les propos étaient clair... Elle aussi était perdu. Anthemis l'aurait bien aidé, mais elle devait tout d'abord se sauver elle avant de penser à s'occuper d'autrui. Bien, bien... Comme on disait, il n'y a pas de bonne compagnie qui ne se quitte... En l'occurrence, à trois c'était la foule et à quatre c'était la surpopulation et Anthemis avait plus urgent à faire que de continuer à discuter avec ces gens qui paraissaient de toute façon ne pas être en mesure de l'aider.

"Suivre la rivière avez-vous dit..?" dit-elle soudain à l'encontre de Orillon "Très bien, alors dans ce cas je vais vous laisser... Continuer ce que vous étiez en train de faire..."

Ajouta tout simplement Anthemis, tout en se reculant doucement afin de prendre un peu de distance avant de se retourner et de chercher cette fameuse rivière à suivre. Si l'explication de l'homme était plus que bancale, au moins le conseil était bon... En suivant cette fameuse rivière, elle arriverait sans aucun doute à la civilisation. De toute façon, la nouvelle venue la remplacerait aisément... Après tout, qu'y avait-il de plus équitable que d'échanger une personne perdue, contre une autre personne perdue..?

Orillion se retint à grand peine d'allonger son poing lorsque la femme accroupie en face de lui tenta brusquement de se relever. Mais, lui laissant le bénéfice du doute, il se contente de reculer promptement d'un pas, avant de la regarder glisser et s'étaler dans la boue avec consternation. Bon, au moins, elle n'essayait pas de l'attaquer, ce devait donc être une humaine elle aussi; et, à en juger par ses paroles, ce n'était pas une nouvelle venue. Le printemps? Il n'avait pas pensé à ça. Sous ses latitudes, le printemps avait plutôt tendance à être ensoleillé, mais il est vrai que la végétation de la forêt ne lui avait jamais paru aussi... vivante.

Seulement, il y avait un problème: si on était au printemps aujourd'hui, hier, à son dernier souvenir, c'était plutôt l'automne. Or même s'il ne s'était jamais vraiment préoccupé des phénomènes naturels, il connaissait quand même l'alternance des saisons: et en l'occurrence, il en manquait une, faite de neige et de froid. Cela dit, peut-être que les saisons ici ne se déroulaient pas de la même façon que dans le monde réel; Ou peut-être que...

Une image s'imposa soudain à son esprit: un sol blanc, couvert de neige, s'étendant entre les arbres; des flocons flottants au grés du vent; Un paysage sans couleur, sans vie, sans espoir; et au milieu de tout cela, une ombre noire courant sur le sol, volant parmi les flocons... une ombre noire... une ombre... Ombre...

Une voix inconnue l'arracha de ses pensées. Une fois encore, il fit un brusque demi-tour, si brutal qu'il manqua de tomber à la renverse. Une autre femme se tenait là, à plus grande distance cependant que les deux précédentes. Et, manifestement, elle aussi semblait perdue. Orillion jura intérieurement. Cela faisait la troisième fois qu'une inconnue surgissait sans prévenir: décidément, ce n'était plus une clairière, c'était une auberge! Et pour couronner le tout, son instinct devait s'être fait désagréger par la pluie, car il n'avait pu sentir l'arrivé d'aucune des trois. A moins que... Trois personnes, arrivant de dos, dans un laps de temps aussi court? Orillion ne croyait pas trop aux coïncidences. Aucune raison pour une créature de feindre l'ignorance... sauf si elle essayait de gagner du temps et de détourner l'attention de sa proie en attendant ses congénères... Il se rappela soudain qu'en se retournant, il venait de présenter son dos à la "blessée" située à à peine un mètre de lui. Aussi, instinctivement, il se déplaça rapidement de façon à mettre une distance convenable entre lui et les trois jeunes filles, et tourna son dos à l'arbre le plus proche, tout en restant assez discret pour ne pas attirer l'attention des trois créatures potentielles.

"Suivre la rivière avez-vous dit..? Très bien, alors dans ce cas je vais vous laisser... Continuer ce que vous étiez en train de faire..."

La vision de la nommée Anthemis en train de s'éloigner rassura quelque peu Orillion: il ne s'agissait peut-être pas d'un piège, après tout. Puis il s'en voulut pour son égoïsme: il venait de faire passer sa propre sécurité avant celle des autres, alors même qu'une nouvelle arrivante venait de prendre la décision de s'enfoncer seule dans une forêt inconnue d'elle et grouillante de créatures.

"Je ne ferait pas ça à votre place" lui dit-il, obligé de forcer sa voix sourde pour se faire entendre. "Les nouveaux venus ne font pas toujours long feu, à Hollow Dream."

*Bravo, pauvre imbécile. Encore une remarque pleine de finesse et de diplomatie. Tu crois gagner quoi, à essayer de l'effrayer comme ça. Tu crois peut-être que tu es en position de donner des conseils, alors que tu aurais très bien pu te faire encercler par trois chimères sans même t'en rendre compte. Elle a dit: "Continuer ce que vous étiez en train de faire"; et qu'est-ce que tu crois être en train de faire? T'accrocher à la vie, sans cesse, depuis des mois, seul. Ton attitude ne te permet pas vraiment de juger celle des autres. Tu lui dits que tu ne partirait pas seul à sa place? C'est précisément ce que tu as fais, dès que tu as compris ou tu étais, et au mépris total du danger. Tu as agis exactement comme elle.*Sauf que lui, justement, savait où il était; il avait choisi en connaissance des risques, et s'y était préparé en conséquence. Elle, en revanche, n'avait pas la moindre idée de ce dans quoi elle mettait les pieds: et à ce jeu là, elle risquait effectivement de finir dans l'estomac d'une chimère avant d'avoir rallié le village et le clan des humains... Il réfléchit rapidement...la rivière coupait la Vallée en deux; et, si on arrivait à une extrémité de la vallée, on revenait de l'autre coté. Par conséquent, à moins de marcher parallèlement à l'axe de la rivière, on finissait tôt ou tard par tomber dessus. Donc elle finirait forcément par rejoindre le village... Sauf si elle mourrait avant.

"Un dernier conseil"dit il enfin"restez dans l'ombre et tenez-vous sur vos gardes! Il y a des choses plus dangereuses que des arbres, dans cette forêt... des choses qui, parfois, semblent humaines..."

Selon ses minces souvenirs, aucun avion, aucun tramway ou aucun train ne l'avait emmenée en ses lieux. Malgré toutes ces heures passées dans les milliers d'aéorports à travers le monde, à regarder les moindres dépliants touristiques, à imaginer sa vie à Puerto Rico ou à Paris, le paysage ne disait absolument rien à tout ce que la jeune femme avait put contempler... L'humidité de la pluie lui pénétrait dans les os jusqu'à la moelle une affreuse sensation de chair de poule se promenant sur ses bras, sur les moindres parcelles de son corps.... Cependant, elle restait debout, envahie d'une fierté , d'un orgueil qui lui semblait presque inhabituel, inconnu à son esprit... Quelques une de se mèches s'étaient cendrées légèrement... Elle se retourna vers la jeune femme qui semblait si étrangement pleine de vie malgré son aigreur, contrairement au jeune homme et a l'autre jeune femme qui semblaient presque ternes, trop ternes...Une longue mèche de cheveu blond fut plaquée contre le visage légèrement halé....

La jeune hispanophone tentait de comprendre ce que disait la jeune femme devant elle... Une rivière? Mais de quoi pouvait-ils bien parler? Alors qu'elle ne savait même pas l'endroit où elle était, comment pouvait-elle espérer ou du moins penser partir de cet endroit... Elle se rappellait ou du moins, tentait de se convaincre pour le moment qu'elle s'était retrouvée en ce lieu de son plein gré et non de force... Elle frotta ses deux bras avec ses mains, sa fine robe blanche de la protégenat que guère du froid mordant et de la pluie, la laissant grelottante.... En passant une main dans le creu de son coude et contre l'intérieur de son bras, elle sentit les renflements tels des piqûres profondes d'insectes... Ses doigts s'y attardèrent ne se rappellant pas qu'il s'agissait de fraîches injections d'insulines destinées à la mettre hors d'état, lui donnan un a aperçu du calme de la sérénité pourtant inacessible depuis la mort de Samuel....

Lorsqu'elle revint sur terre, ou du moins quelque chose de plutôt semblable, la jeune femme la moins pâle des deux avait déjà tournée le dos à Savi.... La jeune femme passa une main sur sa nuque, les muscles étrangements tendus sans doute à cause de ce trop long "repos"....Puis la voix dure et sourde de l'homme se répercuta dans l'air deux mots à la fin de la phrase attirant l'attention de Savi... Hollow Dream? comment pouvaient-ils se trouver à Hollow Dream alors que quelques secondes auparavant, selon les souvenirs de la jeune femme, elle était à Madrid? Étant né dans ette ville, elle en connaissait les moindres recoins et jamasi elle n,avait entendu ce nom.... Elle avait l'impression d'être attendue autre part, comme si un morceau de sa vie lui avait été enlevé.... Elle avait une sensation comme si tout son être avait été une pomme rouge et brillante et que quelqu'un avait prit une croquée y laissant un grand vide...

Elle écoutait chacune des paroles de l'homme espérant comprendre où elle était, ou du moins comment retourner chez-elle, vers ce morceau de vie qui lui manquait atrocement...Biensûr, il ce pouvait qu'il y ait autre chose dans cette forêtque de simples arbres, des animaux sans doute.... Mais non.... l'homme précisa, comme s'il avait lut les pensées , que parfois ces "choses pouvaient avoir l'air humaines.... Elle voulu lui demander d'autre informations lorsqu'une douce mélopée sembla sortir de la forêt: du violon et une voix douce et féminine...À peine quelques secondes plus tard, une silhouette claire se surperposa rapidement, contraste vif de pâleur et de vie sur les arbres sombres qui se trouvèrent rapidement derrière elle, un violon semblant faire un peu tache dans le paysage à la main... La jeune femme au teint plus sain que le jeune homme s'apprcha d'eux et teint environ le même discours que Savi...Ainsi donc, elle n'étais pas la seule à ne pas savoir où ils étaient...Cependant, encore une fois, quelques mots de la jeune fille lui percutèrent l'esprit ...

La jeune espagnole tenta de réconforter la nouvelle arrivante semblant plus jeune qu'elle mais tout aussi perdue... peut-être pourraient-elles un jours retourner de là ou elles venaient...

-De quoi parlez vous? De quels petits monstres? Mais comment ouvez-vous avoir été heurtée par une voiture alors que votre corps ne porte aucune trace de blessure visibles???

*Quatre*

Quatre fois q'un nouveau venu pénétrait dans cette clairière. Quatre fois qu'il surgissait dans son dos, sans qu'il ait pu la détecter. Quatre fois qu'il faisait ce même demi-tour brutal qui manquait à chaque fois de l'envoyer par terre. Quatre fois qu'il s'apercevait qu'il ne s'agissait, au final, que d'une humaine.

*Reste calme*

En tout cas, sa chance devait s'être sérieusement dégradé ces derniers temps: que cinq personnes se trouvent au même endroit à quelques minutes d'intervalles dans la forêt d'Hollow Dream, c'était déjà assez improbable. Mais les chances pour qu'en plus, parmi ses cinq personnes, trois soient des nouveaux arrivants dans cet univers, aurait sans doute poussé au suicide plus d'un statisticien. Et lui aussi, accessoirement, mais pas pour les mêmes raisons.

*Reste calme*

En fait, les probabilités que l'un d'entre eux soit une Ombre étaient largement supérieures. Et, honnêtement, il aurait trouvé ça étonnamment rassurant: un adversaire distinct, une situation clairement définie, et se réglant (ou pas) avec tout le calme et la diplomatie d'un Tsuki en pleine face. Et même le fait que lui-même y aurait très probablement laissé sa peau aurait plutôt été un soulagement, dans les circonstances actuelles...

*Reste calm... Bon, OK, calme-toi.*

Et qu'est-ce qu'elle disait, celle-ci? Comme d'habitude, elle commençait par demander où elle avait atterrie: jusqu'ici, ça rejoignait le discours des deux autres. Normal. Par contre, elle se souvenait de ce qui l'avait emmené ici; tant mieux, la transition n'en sera que moins brutale. Enfin, il ne pût s'empêcher de ressentir une certaine forme de soulagement lorsqu'elle parla de "se protéger ou se battre". Génial. Enfin un comportement qu'il parvenait sans problème à comprendre. Par contre, pour les "drôles de petits monstres", il ne voyait pas du tout: on pouvait difficilement faire rentrer les Chimères et les Ombres dans cette catégorie. Bon, il devait s'agir de quelconques animaux de la forêt. Moins génial.

Il s'avança légèrement vers les deux nouvelles alors que la première commençait à poser des questions dont la seconde ne devait elle-même pas connaître les réponses.

"Vous êtes à Hollow Dream"

Pour lui, cette simple phrase était amplement suffisante, mais quelque chose lui disait qu'elle ne contenterait pas les deux jeunes femmes. Il hésita un instant sur la façon de présenter les choses: sans doute, les patrouilleurs auraient annoncé ça de façon détournée, avec diplomatie, afin de ne pas trop heurter la sensibilité de ces nouvelles-fraichement-débarquées et totelement-perdues-dans-cet-univers-impitoyable, mais bon, lui, c'était Orillion, et si la délicatesse faisait partie de son caractère, il faisait bien attention à ne jamais la dévoiler. En plus, selon lui, l'impératif pour les nouveaux arrivants était de survivre, et peu lui importait les séquelles psychologiques qui pouvaient advenir par la suite. Alors autant en finir au plus vite.

"Je ne prétend pas pouvoir vous expliquer ce qu'est exactement ce lieu, et je doute même que quiconque soit en mesure de vous le dire. Mais, si vous voulez savoir ce que vous faîtes ici, la réponse est simple:comme tout le monde ici, sans doute suite à un accident, vous venez de tomber dans un coma de stade trois."

*Pas mal, mais sur ce coup-là, c'était peut-être quand même un poil trop direct. Même pour moi.*

Il hésita avant de continuer sur un sujet selon lui plus primordial, et jeta un coup d'oeil sur la troisième jeune femme: il espérait qu'elle allait intervenir, parce que, honnêtement, il n'était pas certain que sa déclaration passe sans problème.

Des choses pas vraiment humaines..? Rester dans l'ombre..?

Intérieurement, Anthemis soupira tandis que son visage affichait un sourire amical. Elle se disait qu'elle était surement tombé sur un cinglé ou quelque chose comme l'idiot du village, à qui on disait certainement tout et n'importe quoi en sachant que ce dernier l'avalerait comme un enfant le ferait de sa sucette au chocolat. Elle devait aussi avouer que les trois autres femmes n'étaient finalement guère plus reluisante en la matière. Une paumé visiblement blessé, une autre égarée semblable à elle-même à première vue, et la troisième... Bah... Anthemis préféra ne pas se laisser aller à imaginer des choses sur cette dernière.

"Merci de vos conseils..."

Dit-elle finalement à Orillon, accompagnant son propos d'un geste de la main qui lui signifiait, ainsi qu'aux trois autres jeunes femmes, que maintenant elle allait les quitter... Après tout, s'ils voulait demeurer la à discuter bêtement, grand bien leur fasse. Mais elle, voulait retrouver au plus vite la civilisation et c'est pourquoi elle s'éloigna définitivement du petit groupe afin de trouver cette fameuse rivière et de la suivre jusqu'à apercevoir le moindre début d'habitation humaine.

Quand aux monstres, et bien... Il était malheureusement de notoriété public que les véritables monstres ne se trouvaient pas dans les bois et forêts, mais bel et bien dans les villes ou soi-disant régnait une sécurité bien plus grande que dans la nature dite sauvage...

[ Ailleurs]

[obligée de faire un double post, désolée.. =/]


Les propos de Tabissa se heurtèrent à un silence profond.

Les deux jeunes femmes ne semblaient pas enclines à croire ce qu’elle racontait. Tabissa se demanda quelle genre de petits monstres avait rencontré April, et surtout qu’est ce qui faisait qu’elle était encore en vie… Elle avait tout de la proie facile, un peu paumée, à tel point que ça ne la dérangeait pas le moins du monde de jouer un morceau mélancolique de violon en pleine forêt, alors que les feuilles pleuraient des larmes d’acide au dessus de sa tête.

Elle dansa d’un pied sur l’autre quelques instants, scrutant les visages tournés vers elles, jusqu’à ce que cela en devienne insupportable… Est-ce qu’elles attendaient qu’elle éclate de rire et dise d’un ton enjoué : « Mais non, je voulais juste vous effrayer. Cet endroit c’est le paradis. Depuis votre réveil vous êtes soumis à un test visant à savoir si vous êtes dignes de vivre ici ou non. Et vous êtes aptes ! » Non, bien sur que non. Elles la prenaient en fait certainement pour une folle et attendait qu’Orillion intervienne : « Mesdames, pas de panique. Elle est folle à lier, ne prêter pas attention à ce qu’elle raconte. » Elle admettait qu’avec son regard d’hallucinée, ses cheveux sales et ses vêtements troués, elle n’attirait pas vraiment la confiance d’autrui. Elle avait simplement l’air d’une personne qui a vu trop de choses, et un jour a pété les plombs et est parti vivre seul dans la forêt. Charmant. Après ça elle devint folle. Fin de l’histoire, sauf que non, Tabissa n’avait pas l’habitude de jouer avec les sentiments des gens, elle n’aimait pas particulièrement voir les visages se décomposer sous ses yeux à cause d’elle.

En outre, ce n’était pas vraiment de sa faute si le monde du coma se révélait être un monde de cauchemar, et pour vous dire la vérité, les regards que les deux femmes lui jetaient commençaient à lui porter sur les nerfs.

« Vous vous attendiez à quoi au juste ? »

A quoi s’était-elle attendu elle-même ?

« Le coma est tout simplement un tissu de mystères…
Et comme autour de chaque mystère les hommes aiment émettre des hypothèses. Je suppose que vous n’avez pas échappé à la règle, et que vous-même avez commencé à rêvasser sur ce qu’était le coma ?
Mais pas de chance, quoique vous ayez imaginé ça ne correspondait en rien à ce que c’est réellement.
Vous avez peut-être imaginé de la souffrance, de la peur mais votre image était abstraite !
Ici on vous parle de peur qui se niche dans vos viscères et ne s’en déloge jamais !
Elle vous fait pourrir de l’intérieur, vous ronge, vous fait commettre des actes irréfléchis et vous mène à votre perte !
Votre pire ennemi à Hollow Dream, c’est vous-même…
Quel est votre trait de caractère le plus marqué : le sadisme ou le désespoir ?
Ca balance dangereusement d’un côté et de l’autre,
Quelque soit l’alternative vous vous accouchez un être immonde !
Chimère ou Ombre ?
Il ne sert à rien de se dire « ce n'est pas grave, je vais me réveiller… » Parce que non ! Vous ne vous réveillerez pas !
Vous attendez de l’indulgence, de la pitié ? Vous croyez être différentes de tous les comateux qui ont vécu ici avant vous ?
Vous croyez que vous aurez votre chance ?
Mais non, vous allez rester ici à errer jusqu’à mourir dévorées par les bêtes. Ou jusqu’à VOUS-MEMES devenir des bêtes !
Vous les haïrez jusqu’au plus profond de vos entrailles, et finalement vous deviendrez peu à peu leur miroir…
Peut-être inconsciemment, mais peut-être verrez-vous votre état d’esprit évoluer. Vous aurez beau vous débattre… Toute tentative de résistance sera vaine !
Vous vous regarderez tel un spectateur impuissant devenir des êtres méprisables !
Et sachez que toute transformation est irrémédiable…
Pour l’éternité vous serez des créatures monstrueuses à l’esprit torturé.
Les humains essaieront de vous tuer !
Quelque soit votre nature : humain, Ombre, Chimère vous êtes un animal traqué !
Qu’est ce que vous ressentez à l’idée de pousser votre dernier soupir en étant un monstre ?
Qu’est ce que vous ressentez en sachant qu’on se rappellera de vous en tant que Chimère sanguinaire ou Ombre dévoreuse d’âme ?
Tandis que l’humain, l’être « sensible » et « censé » aura été chassé d’un revers de main ?
Ici ce n’est pas la vie qui est éphémère, c’est votre nature profonde, ancrée !
L’humain aura été effacé en un instant et ne sera même pas un vague souvenir…
RIEN ! »

Sa voix se faisait plus forte, plus criarde. A chaque phrase prononcée elle sentait la colère monter. Une colère accumulée depuis son arrivée ici... Sa révolte contre la stupidité des autres explosait. Vers la fin, sa voix n’était plus qu’un murmure doucereux… Ses yeux plus que deux fentes qui dardaient la lumière bleue glaciale de ses iris. Ses lèvres se fendirent d’un sourire cynique. Elle se délectait des sentiments confus s’entrechoquant dans les pensées des deux femmes. L’expression de leur visage trahissait un trouble paniqué. Elles étaient suspendues à ses lèvres, à croire qu’elles souhaitaient en entendre encore, et encore…

« Pas un vague souvenir…
Vous persisterez dans la mémoire de la bête que vous serez devenues,
Vos souvenirs d’humaines deviendront les siens, elle s’appropriera votre âme…
Elle se servira même de vous pour piéger ses victimes…
Ici, tout n’est qu’apparence, elles feront semblant d’être vous,
Elles adopteront votre attitude d’humaine pour faire baisser leur garde à leurs proies,
Et quand celles-ci seront inoffensives, elles redeviendront elles-mêmes…
Vous renvoyant derrière le rideau de la scène.
Vous comprenez ? Vous ne serez qu’un masque de théâtre,
Un objet servant à commettre des meurtres… »


Soudain, elle se tut. Ce qu’elle leur disait était valable pour elle aussi. Et le plus pathétique, c’est qu’au moment même où elle disait tout cela l’Ombre reprenait sa place. Elle ricanait doucement en entendant les paroles de Tabissa, bientôt elle aussi ne serait qu’un déguisement…

* Je n’ai pas la moindre envie de m’encombrer de nouvelles venues…
Qu’elles meurent dans les cinq minutes qui suivront mon départ, ou qu’elles vivent encore longtemps, ça n’est pas mon problème…
Pas plus que ce que va décider de faire l’homme.
Il m’a laissé discourir sans m’interrompre tout en étant conscient de l’impact de mes paroles, j’en suis certaine.
Après ça il y a de grandes chances qu’il essaie de rassurer les deux femmes. *

Tabissa sourit à nouveau. Ca n’allait pas être facile.
Sur ces pensées très altruistes elle tourna les talons et se dirigea en trébuchant vers la lisière de la forêt.

La femme s'éloignait, d'une démarche hésitante, sa silhouette s'estompant graduellement dans la semi obscurité des bois, le bruit de ses pas se confondant peu à peu avec le bruit de la pluie tombant sur les feuilles. Orillion attendit que l'image de ce dos ne s'efface définitivement de sa rétine, puis détourna son regard de la direction où elle avait disparu pour le porter sur le tableau que présentaient les deux nouvelles arrivantes. Impressionnant, en vérité. S'il n'y avait eu l'eau qui continuait à descendre du ciel en trombe et les herbes détrempées qui s'agitait doucement sous l'action du vent, on aurait pu croire que le temps venait de se figer. Du moins était-ce le cas des deux êtres humains au centre de la scène; la vallée aurait tout aussi bien pu les remplacer par des statues de granit que la mobilité eut été identique: leurs bras, leurs jambes, leurs yeux même, tout leur être était d'une fixité qui en d'autres circonstances aurait paru presque comique mais qui, dans le cas présent, se révélait pour le moins inquiétant. Et assez problématique.

*Wow... C'est donc ça qu'on appelle "état de choc"*. Impressionnant... Mais donner un nom à un problème ne permet pas forcément de le résoudre. Si tant est qu'il y ait encore une solution, bien sûr.

Évidement, il avait sa part de responsabilité dans cette affaire: s'il avait su leur expliquer la situation, s'il n'avait pas eu besoin de l'aide de la femme, s'il l'avait arrêté dans son discours destructeur, cela aurait pu tourner différemment. Mais la nature avait fait un Orillion plus doué pour mordre que pour aboyer; et les poings, aussi forts qu'ils fussent, résolvent bien peu de problèmes. Mais pourquoi n'était-il pas intervenu, en voyant la direction que prenait la tirade? Lui-même n'en savait rien. Une seule idée était apparu dans sa tête, étincelante, oblitérant toute autre pensée par son éclat: ce discours était celui d'une ombre. Tout y était: la haine; le désespoir distillé dans chaque mot; la rancœur lové amoureusement au creux de chaque virgule; le mépris craché au visage de ses trois interlocuteurs, si faibles, si stupides, si humains; la franchise et le fatalisme de celui qui a dû renoncer à tout; la volonté de détruire, de briser, de réduire à néant. Tant d'émotions contenues dans un seul discours, tant de sentiments si sombres et si... terriblement familiers. Quelle fût alors cette obscurité, aux tréfonds de son propre esprit, qui le troubla en cet instant et lui interdit d'agir comme si elle se délectait du spectacle? Le saura-t-il jamais... Mais à quoi bon la nommer, au fond: ce n'était rien d'autre, au final, que sa propre faiblesse, son incroyable propension à échouer ce qu'il entreprend, peu importe ce dont il s'agit. Une nouvelle défaite à ajouter à une liste interminable.

Son cerveau se mit en action à plein régime, cherchant désespérément une explication, une phrase, un mot susceptible d'améliorer les choses. Mais rien. Du tout. Une impasse totale. Impossible de nier la parole de la femme/ombre: même si le point de vue était pour le moins pessimiste, ce qu'elle avait dit était parfaitement véridique. A la rigueur pouvait-on en atténuer le contenu; mais comment être assez persuasif pour qu'elles le croit, lui plutôt que l'autre? voila qui dépassait de loin sa médiocre éloquence, d'autant que, pire encore, il n'était pas loin de penser comme elle. Il savait que le coma de stade 3 était une voie dont la seule issue était la mort: Mort terrestre menant à la transformation en monstre, ou transformation menant à la mort terrestre, peu importe. Mort dans la vallée, enfin. Mort sous les armes des humains ou sous les griffes des créatures; mort lente ou violente, subite ou attendue, rapide ou douloureuse; quelle importance, au fond? Mort inévitable dans tous les cas.

*Eh bien, qui est l'Ombre, à présent?* Il rit intérieurement. Nul doute que si un humain avait pu entrer dans son esprit, il aurait jugé ces présentes pensées dangereusement défaitistes.

En attendant, ce n'était pas en se lançant dans une étude métaphysique de la mort et de ses répercussions sur l'esprit humain qu'il allait résoudre le présent problème. Retours à la situation présente. Bon, il fallait bien l'avouer, il avait légèrement exagéré la fixité des demoiselles ici présente; au minimum, il fallait compter sur un mouvement de poitrine plus ou moins régulier dû à la respiration. Génial, mais ce n'était toujours pas ça qui allait lui dicter sa conduite.

*Alors, réfléchissons... Leur raconter la vérité? Déjà fait... Leur mentir? Impossible... Leur dire que c'est une blague? Trop gros... Tsuki? Hors sujet... S'enfuir... Les emmener au village... Attendre... Partir... Les mettre à l'abri de la pluie... Aller chercher un psy... Se retourner vers le bruit... Leur dire que... Bruit?*

Avec l'aisance que procure l'habitude, Orillion effectue un rapide demi-tour sur lui-même et fixe son regard sur la source du trouble. La pluie, les arbres, et... Là! Trois... Quatre... Cinq silhouettes, qui se rapprochent de sa position. Mais... Humains ou Créatures? S'il s'agit d'humains, c'est sans doute pour lui le meilleur moyen de résoudre le problème. Des créatures le régleraient également... A leur manière.

Humains ou créatures?

Les cinq silhouettes deviennent visibles. Leurs regards méfiants, la tension qui émane d'eux, les armes à feu qu'ils affichent ouvertement, la nourriture transportée par certains laissent peu de place au doute; puis son regard se pose sur l'homme de tête... Un homme de tête dont la tête est familière. Ces traits taillés à la serpe, ces cheveux virant presque au gris, cette barbe soigneusement entretenue pour avoir l'air négligée, Ces yeux gris qu'à une telle distance on devinait plus qu'on ne voyait... Celui là, c'était indéniablement un humain et Orillion était bien placé pour savoir qu'il savait s'y prendre avec les nouveaux arrivants. Oui... Cela faisait si loin, maintenant...

Loin? Il avait perdu toute notion du temps depuis qu'il était arrivé ici, mais cela ne devait pas pas faire plus de quelque mois, non? Sauf si...

Bah, aucune importance.

Et maintenant? Il retint à grand peine un sourire amer. Tout se passait pour le mieux, apparemment. Le groupe de patrouilleur allait prendre la situation en main, les deux nouvelles iraient rejoindre les rangs des habitants du village, ou les paroles de la Femme-Ombre finiraient bien par se dissiper. Et comme d'habitude, il n'avait rien pu faire et n'avait d'ailleurs fort heureusement rien tenté. Pitoyable, mais pas étonnant. C'était probablement la meilleure chose qu'il soit en mesure de faire, après tout: rester dans l'ombre et laisser les problèmes se résoudre sans lui.

Allez... Il était temps pour le pion inutile de tirer sa révérence, à présent. Mieux valait éviter autant que possible d'être vu... surtout par ceux qui pouvaient se souvenir de lui. Demi tours, quelque pas, direction les arbres. En passant à coté de l'une des jeunes femmes, il ne put cependant s'empêcher de glisser quelques mots à son oreilles.

"Ceux-là sont des patrouilleurs... des humains. Ils sont la preuve que l'espoir n'est pas encore mort dans la vallée. Suivez-les et écoutez-les. Il n'y a peut être pas de sécurité véritable pour vous en ce lieu, mais c'est sans doute auprès de vos semblables que se trouve ce qui s'y rapproche le plus."

"Et, au fait..."

Il hésita un instant, puis reprit:

"bienvenue à Hollow Dream"

Puis il s'éloigna, rejoignit la frontière des arbres, et disparut à son tour dans les ténèbres, se fondant parmi les ombres.