Difficile de dire ce qui m’avait poussé à déambuler dans l’île. Je connaissais pertinemment les dangers que la Vallée aurait pu prendre plaisir à mettre sur ma route, mais je m’étais résolu de ne pas rester au même endroit. Quitte à finir dévoré ou à crever comme un chien et laisser ma dépouille au soleil, je préférais encore visiter un peu ce « paradis » avant, dans un sens comme dans l’autre, je pouvais aussi bien précipiter ma fin que l’éloigner, alors à quoi bon se demander pourquoi bouger et juste le faire. Puis, je devais admettre que me dégourdir les jambes ne me ferait pas de mal, et je n’appréciais que moyennement le sable. C’est donc avec un certain plaisir que j’avais prit la direction du levant, me fiant plus ou moins au soleil, bien que je ne fusse pas vraiment certain que les repères ordinaires soient encore d’actualité ici bas. Après tout, quoi de mieux que de dérouter ses habitants en modifiant les repères géographiques ? L’intriguant dans tout cela, c’est que je trouvais une raison pour laquelle la vallée n’avait aucun intérêt de faire cela, et la raison était la suivante : c’était absolument inutile. Pourquoi leur faire perdre géographiquement le nord, quand, de toute façon, il finirait par le perdre mentalement ? La direction n’avait aucune importance, car au final, nous finissions tous par perdre, et elle, par gagner. J’avais survécu pendant un bon moment, mais seul et livré à moi-même, je me doutais que je finirais par mourir un jour où l’autre, et ce, même si l’envie de retrouver Mary se faisait de plus en plus forte.
Il ne passait pas une seconde sans que je ne pense à elle. Voilà trop longtemps que nous étions séparés, et je voyais encore nos virées à moto défiler sous mes yeux. L’espace d’un instant, je revis mon père et ma mère… Ils me manquaient eux aussi, de manière moindre, mais j’aurai voulu les avoir près de moi. Que pensaient-ils ? Mon père devait surement pester de m’avoir laissé continuer à monter à moto, ma mère devait sans cesse lui expliquer que ce n’était ni de sa faute, ni de la mienne, mais simplement pas de chance, ou plutôt celle de ce fichu connard qui était passé au rouge… Je ne savais pas grand-chose sur lui, si ce n’est la couleur de sa voiture et sa relative conscience du code de la route. C’était à cause de lui si j’étais ici en ce moment, à cause de lui si j’avais vécu tout ce qui s’était passé dans cette vallée, mais, si je lui en voulais, j’avais autre chose à faire que ressasser une haine inutile. Enfin, peut-être que cet imbécile s’était retrouvé ici aussi, mais j’en doutais fortement, les airbags de sa voiture avaient du faire un excellent travail, et puis, lui, il n’était pas passé sous un camion.
A force de penser, ou de broyer du noir, tout dépend du point de vue, je finis par arriver en vue de ruines. A bien y regarder, cela ressemblait à une église, si j’en croyais les restes du clocher qui surplombaient le tout. Traversant en silence les ruines, je me demande si quelqu’un peut se trouver dans les environs, quelqu’un ou…quelque chose. Réalisant que je suis complètement à découvert, je fais doucement le tour des ruines, en essayant de faire le moins de bruit possible. Au détour d’un mur, je découvre aux sols quelques traces. Il y a vraiment eu quelqu’un par ici ! Curieux, je regarde autour de moi, et bien entendu, je ne manque pas la trappe ouverte, donnant sur des escaliers descendants dans la noirceur. Y-a-t-il quelque chose là-dessous ? Quelqu’un ? Une voix me crie de ne pas y entrer, que ce serait de la folie, et une autre que je n’ai rien à perdre, sinon passer un mauvais quart d’heure et enfin trouver ce qui me cherche depuis si longtemps, la mort. Ramassant un bâton relativement grand et épais, je me dirige vers les escaliers, les empruntant en silence, m’enfonçant à mon tour dans les ténèbres. Une fois assez éloigné, conscient que si danger il y avait, cela ne pourrait pas être pire que de tomber dessus par hasard, je me risquai à crier :
« - Eh ho ! Y’a quelqu’un ?! »