Dancing in the rain [libre]

Un salut... Relevé en cinquième, bras droite en seconde et piqué, pointé, balancement avant, pas, pas, glissante, saut de biche, long développé, rond de jambe, appui, pirouette en-dehors, balancé arrière et inclinaison.
Encore une fois!
Non, encore!
Et toujours.

Réviser les pas, se souvenir des déplacement, se remémorer un si beau ballet l'aidait à chasser la peur. Les choses habituelles rassurent, apaisent. Elle ne danse pas pourtant, mais son esprit venait de répéter une série de chorégraphies tellement éprouvées par le passé que leur mouvement faisait partie de la vie, étaient devenus instinctifs depuis longtemps. Mais elle ne dansait pas. Peut-être aurait-elle dû? Mais elle ne pouvait pas.
Elle tremblait, mais ça allait mieux non? Elle avait moins froid. Ou peut-être sa fièvre était-elle encore monté? Elle séchait lentement, péniblement. Ses vêtements humides lui collaient à la peau, lui donnaient la désagréable impression de voir son corps révélé malgré elle. Pas de costume ici, malgré les planches elle n'était pas sur scène. Elle aurait tellement préféré être sur scène. Ses lèvres, à défaut de son corps, dansaient les pas, les répétaient encore et encore. La peur avait fuit à présent.
Ses cheveux ne dégoulinaient plus, relançaient des reflets d'or par instant. Elle était assise sur le pont, à la naissance de celui-ci du côté du village. Pourquoi le pont?

La pluie battait le toit de bois. Ici elle était un peu plus à l'abri. Le refuge avait brûlé. Oh, il y avait bien de la lumière du côté du Cardinal's et de la bibliothèque, mais elle n'osait y aller. Si les monstres avaient attaqué le village, ils devaient certainement posséder ces endroits. Elle était tellement lâche, tellement effrayée, elle l'avait abandonné, celui qui l'avait aidée. Celui qui s'en sortirait mieux sans elle. Lui, il pourrait courir au besoin, il pourrait fuir. Mais elle?Elle n'aurait sans doute pas pu. Mieux valait rester là, pas vraiment cachée, mais au moins protégée de l'eau. Ses jambes resserrés contre son corps, elle tenait ses chevilles entre ses bras, avait posé sa tête inclinée sur le sommet de ses genoux, ses yeux autrefois pétillants étant à présent brillants de fièvre.
Mais elle se sentait mieux. Un peu tout du moins.

"Pourquoi ne m'appelle-tu pas pour t'aider?"

Les mains de la danseuse se crispent sur ses chevilles. Elle l'entend parfois, cette voix qu'elle ne connait pas. Sans doute la fièvre. Elle ne fait même plus l'effort d'en chercher la provenance et ferme lentement les yeux, étouffant les mots. Elle n'entends que la pluie à présent, et la pluie ne parle pas, elle chante. Elle chante une berceuse, et bientôt c'est le corps de la danseuse qui se berce gentiment, calmement, réchauffant ses muscles tétanisés par ce froid décroissant. Elle a trouvé le reste d'un rideau calciné qui maintenant recouvre ses épaules dénudées. C'est peut-être aussi pour ça qu'elle a moins froid.
Elle va mieux.
Tout ne devrait qu'aller mieux.
Non?

[je me permets alors]

Nu.
Il la heurte de plein fouet, il ne l'a même pas vue, même pas regardé.

Il est recouvert de boue et il la cogne, comme un uppercut
elle semble s'envoler, se décrocher de quelque part.
Ses bras instinctivement s'agrippent à elle dans un geste de prédation, un fauve qui crochète une gazelle.
Il ne l'a pas vu danser.
N'a pas même perçu la grâce de ses gestes.
Non il la percute comme un bolide conduit par un ivrogne et il s'étale tout le long d'elle, dans la bouillasse, elle glisse, elle se frippe, elle se déchire les coudes, les genoux et son corps élastique et musclé se rétracte tout en accueillant sa propre chute.
Habitude.
Lui dégouline, lui remue la tête pour chasser l'eau qui lui empoisse les yeux.
Pour voir ce qui lui a barré la route.
Il ne la connait pas.
Il est juste surpris, pas tout de suite, non juste après le moment passé de la rage.
Qu'il oublie le temps du choc.

Sa respiration ronfle dans ses poumons qui usinent comme une forge, il est tout près de son visage, ça goutte brun sur sa peau à elle.

Ce n'est pas là qu'il comptait s'arrêter, mais c'est là que son corps a buté.

[Mais permets-toi seulement! ^^]

Elle était bien, si bien, tranquille. La voix disparaissait lentement, étouffée par le son de la pluie, par la berceuse de dame nature. Elle se serait bien laissée allée un moment. Peut-être était-ce ce qui se produisait, peut-être était-ce aussi la fièvre qui l'obligeait à clore les yeux, à se laisser bercer loin de cette voix, loin de cet enfer. Elle ne l'a pas entendu. Elle n'a d'ailleurs plus rien entendu d'autre que la pluie. La pluie et en dessous la rivière qui s'écoule. Tout semblait ne plus être qu'eau et malgré tout elle séchait gentiment. Enroulée dans ce vieux rideau qui malgré tout tient chaud. Elle se sent bien, tellement bien, ou mieux du moins elle s'en convainc.

Mais c'est là qu'une ombre lui ouvre brutalement les yeux. Quelque chose qui s'élance, qu'elle n'a pas eu la vigilance de surveiller. Pourtant elle savait, oui elle savait que tout était dangereux dans cet endroit. Mais elle a oublié de se méfier. Ou elle a souhaiter oublier la peur perpétuelle, les craintes trop exacerbées pour être rationnelle.

La chose qu'elle n'a pas eu le temps de voir ne l'a peut-être pas vu non plus et, tétanisée, elle n'a que le temps de se baisser, d'anticiper le choc. Elle est trop lente et trop faible pour l'éviter. Quelle étrange impression que celle d'être une gamine affrontant un plaquage de rugby. Elle chute, se fait éjecter du couvert bienveillant du pont, et glisse sur la boue, ses bras relevés pour protéger son visage. Le rideau lui échappe, offrant à nouveau son corps tout juste revêtu d'une robe déchirée aux éléments. Et dire qu'elle avait réussi pendant un temps à tenir l'humidité éloignée d'elle.

Mais la pluie et le froid ne sont qu'un infime soucis. Le souffle court, elle ose à peine écarter les bras, à peine voir ce qui a tout chambouler, ce qui a fait renaître avec tant de violence la peur qu'elle étouffait si difficilement. Ses yeux s'écarquillent, sous la boue qui coule elle aperçoit l'homme nu au regard effrayant, le croque-mitaine qui fait peur aux enfants. Entre la pluie et son regard brouillé par la fièvre, elle veut crier, appeler à l'aide, ne sachant qu'à peine ce qui vient de l'écraser au sol. Mais ce n'est qu'un pitoyable gémissement qui s'échappe des lèvres tremblantes, elle détourne le visage, un bras toujours levé comme pour se protéger, l'autre retombant sur la boue visqueuse pour chercher un appui, une chance de pouvoir ensuite se relever. Elle essaie de le repousser, mais n'a guère de force, finalement.

Etalé.
Et un visage rempli d'effroi
tout poisse.

arrêt sur cette image la

une enfant le regarde et lui crache au visage
jalouse
elle le hait
il voit l'enfant et lui sourit, émettant un affreux râle pour la faire fuir.

*Eteins la lumière petite teigne, ça te regarde pas!*

la terreur dans ses yeux
image de terreur pure

feinte.

*tout est faux comme le reste*

Elle le repousse, ses bras, des fleurs artificielles qui tentent de poindre vers le ciel.
Des seins hérissés. Mais qui s'affaissent aussitôt le courant d'air passé.

Cette manière épidermique d'aspirer, d'avaler, de mordre ce qui vient aiguillonner la murène dans sa fosse.
Elle, son bras levé au dessus de sa tête souillée par la boue.
Cette tête grotesque habituée à un certain confort.
A ce tempo si particulier du petit rat.

L'autre qui cherche un appuie s'enfonçant désespérément dans la marne.
Fait redresser La bête.

L'animal s'éveille toujours au contact du gibier.
Cette vieille habitude de flairer, humer la petite chose atroce qui s'effondre sous lui, comme ça, l'air de rien...

L'air de rien...

Ses poumons se reposent sur sa poitrine qui expirent un souffle acide.

Le dégout d'être sale, il le lit, là, dans ses yeux.
Trop propres pour être honnêtes.
Un corps long taillé comme une aiguille pour recoudre sa plaie.
Un corps comme une dague pour en effiler les lignes.

Il sourit.
Avide, colérique, insatisfait.
Bestial.

Sa nudité ne lui fait pas honte, elle n'entrave pas ses mouvements.
Il savoure cette liberté nouvelle alors qu'il glisse sa cuisse entre les siennes et la comprime, et l'étreint cherchant un plancher neuf où déposer ses nerfs
l'air de rien.
Comme si rien.
Comme si les choses se faisaient ainsi.

"Je t'ai dérangée peut être?

Je voulais pas."

Ses yeux plantés dans les siens sont encore brulant de haine.
Il la banderille.
Mais il voit bien qu'elle n'est pas toute entière à sa frayeur.

Et que la traque ne sera pas forcément de son côté.

Son regard rempli de haine lui fait atrocement peur. Elle voudrait le repousser, crier à l'aide, prier pour que quelqu'un vienne la secourir, écarter l'homme couvert de boue.
Elle n'a pas peur d'un homme, ni de l'eau, ni de la terre qui s'écoule. Mais elle a peur de ces yeux, cet aspect agressif, violent. Elle n'est pas violente, elle déteste ça. Carmen, elle préfère étouffer la violence, quitte à ne faire que pleurer sans plus rien espérer. Espérer... C'était ça le plus important. espérer qu'il ne lui fera pas de mal, qu'il n'y aurait jamais besoin de personne pour la sauver. Non, elle n'a besoin de personne.

** Menteuse... **

La peur se volatilise, à peine une seconde, à peine sous quelque chose qui n'a pas peur, quelque chose qui triomphe de l'horreur parce qu'elle est horreur. Mais non, la voix est loin, chassée par les gouttes de pluie, et les yeux se referment fort sur cette apparence qui n'est pas sienne. Quand ils se rouvrent, ils brillent à cause de la fièvre, mais ont reprit leur peur. Une peur atténuée pourtant.
Son bras redescend lentement. Elle ne veut pas avoir peur, la peur fait naître la voix. Elle l'écoute, il parle mais ne s'écarte pas. Elle se sent piégée, comme un oiseau dans une cage trop petite. Mais elle ne se débat plus. Elle ne veut pas avoir besoin de se débattre. L'humidité s'empare à nouveau d'elle, la fait frissonner. Lui n'a pas vraiment l'air d'avoir froid.

"N... Non. J'ai... Je n'ai pas pu m'écarter. Désolée."

Elle est vraiment désolée, Carmen. Elle sait que quand quelque chose ne va pas chez les autres, c'est que quelque chose n'allait pas dans son comportement à elle. Elle ne veut pas qu'on la regarde comme ça, pas avec la haine. C'est douloureux, brûlant, pire que la fièvre. Elle replie sa jambe libérée, contre celle nue de l'homme, essaie de se redresser sur les coudes, mais n'y arrivera pas s'il reste sur elle. Elle se sent bien oppressée, sa poitrine étouffée sous celle de l'inconnu.

"S'il vous plait..."

Mais ce n'est qu'un murmure, une supplique pour qu'il cesse de lui faire peur, pour qu'il ne lui fasse pas de mal. Pour que la voix ne revienne pas.
Non, ce n'est pas lui qui fait si peur. Elle ose le regarder, droit dans les yeux, ne trouvant même plus a gêne pour rougir. Elle a peur, oui. Mais plus les secondes s'effacent, plus la peur change de visage. Un visage terriblement semblable au sien qui pourrait presque s'apposer à celui de l'homme. Mais non, les yeux qu'elle voit au-delà ne sont pas plein de haine. Ils sont fou, tendres et mauvais, protecteurs et destructeurs, effrayant mais tellement rassurant.
Elle secoue la tête, chassant l'image. Elle n'en veut pas, jamais. Comme si elle savait ce que ça faisait. Mais si lui restait, est-ce que ce souvenir s'imposerait à nouveau?

"Je voudrais pouvoir me relever."

Les mots tentent de prendre de l'assurance, de gagner un peu de force. Il n'a aucune raison de lui faire du mal de toute manière. Il doit juste... Juste quoi? Lutter contre une voix lui aussi?

Cette petite voix minuscule délicate, faiblarde.

*Maniaque.*

Cette petite voix qui geint comme un chiot dont il écraserait la patte, une jeune lady qui prend le thé dans une jolie porcelaine dont il viendrait d'accrocher l'ourlet.

*Glaciale*

Cette petite voix qui tremblote en essayant de masquer du mieux qu'elle peut son émoi.

*Sa curiosité*

Cette petite voix qui s'excuse dans ce corps bien dressé, qui frisonne mais ne tremble pas, ces yeux qui clignent et se ferment comme avant, les lourds rideaux de théatre quand le spectacle s'achève et qu'il écoutait glisser lentement sur leur guinde.

*Comédienne*

Cette petite voix fluette et désolée qui supplie presque, le petit animal qui feint la mort pour qu'on l'oublie, pour qu'il s'échappe. Le bras descend sur le côté. Gracieux, empesé comme un col blanc. Et cerné par la boue.

*Ce n'est pas moi qu'elle voit*

La supplique fait grandir sa colère mais les yeux plein d'horreur la font refluer. Doucement. Mais elle reste là, tapie au fond de lui, attendant le moindre faux pas, le moindre geste déplacé, la moindre parole de trop pour bondir et déverser son flux, dévaster ce nouveau visage.

*Trop parfait pour l'être, trop bien élevé, tout en excès tout est trop pour tenir tout seul*

Un nouveau sourire, il l'épingle et ses yeux comme toujours ont une longueur d'avance.
Ils dévorent.
Ils ne regardent pas.
Ils filtrent.
Ils pèsent.
Ils avalent tout rond.
Ses plates excuses, ses gestes ralentis, sa fragilité feinte dans ce corps dont chaque muscle semble dissocié des autres.
Il le sent bien sous lui cette manière qu'elle a de séparer, dissocier.

"Si je me lève tu vas me voir. Tu me verras mieux que ça. Et ça va te gêner. Si je me lève et que je te laisse partir tu vas me remercier, et puis tu vas t'en aller"

Son corps pèse de plus en plus sur elle alors qu'il voudrait l'aider à se relever, mais il n'en fait rien. Il appuie sur sa jambe prisonnière. La masse de son corps est dense, compacte, il est terriblement lourd mais n'en a nullement l'apparence. Il voudrait la laisser se dégager mais quelque chose résiste, cette colère toujours qui l'aiguillonne, cette curiosité infâme et le besoin de posséder toujours et toujours plus.

"Alors, je me relèverais si tu reste là, je veux dire, si tu n'essayes pas de t'enfuir d'une manière ou d'une autre. "

Il se penche pour la confidence, mais sa voix et ses yeux la menacent.

"Et je n'ai pas l'habitude de tricher."

Il devient plus lourd, ou alors elle perd encore de sa force. Un peu pareil à un papillon épinglé dont les ailes frémiraient encore désespérément. Elle a froid, mais en même temps son corps à lui la protège un peu, mais trop peu. Il y a toujours cette peur étrange qui l'étouffe presque autant que ce corps sur le sien. Elle a envie de fermier les yeux, de détourner la tête, de fuir cette rage qu'elle voit et qu'elle voudrait repousser.
Elle le craint lui, et l'autre, incertaine à présent de savoir tout à fait lequel des deux serait le plus dangereux. Le souffle de la voix s'écoule lentement dans la tête de Carmen, apaisé, attendant l'instant de redevenir maître. Mais elle ne lui laisse pas prendre la parole, elle l'étouffe avec plus de force que l'inconnu l'étouffe elle. Alors elle affronte le regard, reflétant sa peur et son incompréhension. Pourquoi cette colère sans ses yeux?
Sa simple présence était-elle si détestable que ça? Si oui, pourquoi ne pas s'en aller tout simplement et l'abandonner à la pluie comme elle était avant, comme elle avait voulu l'être non pas par désespoir, mais par espoir de permettre à d'autres de ne pas avoir à l'assumer elle et sa maladie?

Le corps continue de frémir, le froid s'insinue encore, avec la boue. Pourtant elle est brûlante, toujours pâle, les lèvres tremblantes. Elle ne plisse les yeux que pour éviter les gouttes d'eau et de terre, mais elle ne dévie pas la tête. Elle se fait violence, reste là à affronter ce qu'elle veut pourtant tellement fuir. Une chose impossible, improbable tant qu'il la maintiendrait ainsi piégée. Si elle ne peut se relever sans sa volonté à lui, alors elle attendra. Ses bras retombent dans la boue, elle ne cherche plus du tout à le repousser, ni à l'écarter. Elle n'a pas la force de l'envoyer loin d'elle, alors...

"Je... Je ne veux pas fuir. Je veux juste... Me mettre à l'abri. La pluie..."

La pluie est répugnante, coulante, glaciale. Elle l'aimait tellement pourtant, elle et sa douceur qui glisse contre le corps. Mais maintenant elle n'en veut plus et désir à nouveau le réconfort du sec, ce réconfort qu'elle avait trouvé sous le toit du pont, ce réconfort que l'inconnu lui avait brutalement ôté.
Pourrait-elle être gênée? Elle l'aurait très certainement été, si elle ne voyait pas la bête qui semblait patienter dans ce corps d'homme. Alors non, elle ne pourra pas être gênée, pas plus que maintenant, écrasée sous lui, son corps tâché de boue, ses cheveux s'étalant dans l'eau sale.
Il pose une condition, lui donne ce petit espoir d'être libérée, de pouvoir ensuite respirer pleinement, de pouvoir moins craindre qu'à présent.

"Je veux juste... Retourner sous le couvert du pont."

Non, elle ne veut pas fuir. Pour fuir, il faut avoir un abri où se rendre, et Carmen n'en avait pas. le refuge, le théâtre avaient brûlé. Il ne restait que la bibliothèque et le Cardinal's, des lieux où elle était encore incertaine d'y trouver une présence humaine. Des lieux qu'elle préférait éviter pour le moment.
Il se penche et murmure, mais il y a toujours cette haine, cette menace dans la voix et dans les yeux. Elle voudrait encore se détourner, mais refuse de faire plus pitoyable figure encore.

"Je ne peux pas tricher."

Non, bien sûr que non. Pas Carmen. Mais l'autre qui sommeil en elle et attend patiente le moment du réveil peut bien tricher. Seulement elle n'est plus là, plus pour le moment. Elle est étouffée.

Juste à l'abri. A l'abri de quoi au juste. Sous le couvert du pont.

Echapper à cette pluie, seulement.... cette pluie qu'il déteste, qui ne lui ressemble pas, il hait cette crasse qui l'embourbe, tout comme elle.
Lui faire confiance.
A-t-il jamais eut confiance, en quelqu'un, si ce n'est la grise.
Il sait qu'elle cherchera à fuir, à le fuir lui.
Ce qu'il est, ce qu'il tient en sourdine, l'inacceptable, ce qui déborde mais qu'il retient encore par pudeur, par peur de la solitude subitement.

"Si tu veux te mettre à l'abri ce n'est pas ici que tu le seras. Moi non plus d'ailleurs."

Il s'écarte, doucement, délaissant sa chair, à regret, sentant le l'humidité lui coller la peau à nouveau maintenant qu'il est plus calme.

" Il faut que tu le laves. Crasseuse. "

Il se redresse d'un bond et droit devant elle la domine de toute sa longueur, exhibant sa peau nue et imberbe, sa peau factice, sa jeunesse trompeuse.

" Je peux pas rester comme ça devant une dame, même couverte de boue. Je veux te voir propre, et dans la soie.
La soie, tu aimes, la soie, le petit cri qu'elle fait quand on la caresse, quand on la palpe, quand on la fait rouler sous les doigts, quand on la déchire "

Un sourire mauvais passe sur ses lèvres et ses yeux flambent brutalement. Il fait un geste obscène, par provocation, par honte, parce que quelque chose se met à siffler dans sa tête. Mais tout son être lutte contre son obscénité.
Il ne la connait pas.
Il ne connait pas son nom, et c'est ce qui l'excite, cette familiarité qui la gêne.
La soie crie.
Sa blondeur.
Ses yeux d'un vert profond.
L'envie brutale de la saisir par les cheveux et de lui arracher, de la faire pleurer pour lui demander pardon.
De l'emmailloter dans un drapé sans fin et de l'étouffer comme une larve dans sa chrysalide.

De son pied il écarte une jambe dans la boue, puis un bras, appuyant sur le poignet pour qu'il s'y enfonce, qu'il disparaisse avec ce bruit de succion atroce, le roule puis le projette en l'air et l'attrape d'un geste vif et brutal, la serrant si fort qu'il lui briserait le bras si elle n'était pas si musclée.

"Lèves toi, viens. Je sais qu'il y a d'autres endroits qui."

Il n'achève pas.
Il la tient serrée, mais suffisamment distant pour qu'elle puisse l'observer lui aussi. Comme il fait d'elle.
Voir.
Dévisager
dechiffrer
ce quelque chose décalée qu'elle porte en elle.
Quelque chose qu'il ne sait pas nommer mais qui l'écorne, qui le chagrine, qui l'appelle.
Comme une pente raide.
Un poison au gout de vin d'Italie, un gaz inodore et mortel

Un abri pour fuir la pluie et le froid, juste ça. Pour fuir la peur aussi, peut-être, mais fuir une menace n'est que secondaire. Une menace, ça a des crocs et des griffes, des manière de bête un peu comme lui.
Mais pourtant elle ne veut pas se croire menacée, même si elle le sent. Non, ce n'est pas vraiment ici qu'elle sera pleinement à l'abri, mais elle n'a pas mieux que ce toit sur lequel glisse la pluie, que ce pout sous lequel coule l'eau. Elle n'a rien de mieux et ne cherche pas mieux. Elle est lasse, fatiguée, affaiblie et peut-être lâche aussi.
Mais elle respire mieux, enfin, libérée de l'étreinte. Elle le suit des yeux, plus par méfiance que par gêne. Rien ne la surprend vraiment, sans qu'elle ne sache pourquoi d'ailleurs. C'était comme si tout ce qu'il y avait de pire ici était devenu normal. Comme si finalement la peur était banale à force de la ressentir.

Mais par-dessus la peur, une légère vague d'amertume. Elle, crasseuse? Elle faisait honte à ce qu'elle était, il est vrai. Adieu, passé de paillettes et de merveilles, le temps où elle brillait aux yeux des autres lui semble bien loin sous cette pluie. Pourtant son souvenir ne lui dicte qu'à peine plus d'une semaine éloignée des planches. Juste quelques misérables jours qui deviennent une éternité sous cette simple remarque.
Il se redresse et elle a l'impression qu'il est grand, gigantesque, et elle toute petite, immobile encore dans la boue, ne sachant si elle peut oser se redresser ou s'il vaut mieux encore rester un peu là, pour ne pas attiser la colère dans ses yeux.

Elle n'ose pas répondre, hésitante sur la conduite à tenir. Il veut la voir dans la soie? Elle ne veut pas. La douceur reste hypocrite, passée, sans importance. Mais l'autre devrait aimer, non? Non, l'autre n'est pas là, elle n'a jamais été là. Elle voudrait crier, rejeter cette provocation honteuse et dérangeante, l'envoyer paitre, lui et ses paroles remplies de non sens. Lui qui est nu, boueux, et elle qui a au moins le mérite de porter cet infâme bustier et cette robe recomposée dont elle ignore l'origine.

Non, finalement elle ne vaut pas mieux que lui, ridicule petite danseuse empêtrée dans la boue et la fièvre, perdu dans un monde qui la terrorise, paralysée sous un regard de colère. Elle voulait se relever, partir loin, fuir...
Oui, mais Carmen ne triche pas, alors elle reste, les traits déformés par un faible cri quand son poignet est écrasé, noyé sous la boue. Ou quand il le lui attrape, la relève de force, sans la moindre avec brutalité. Elle est faible, mais si résistante. Une chance pour elle, pour son bras. Elle bascule en avant, puis se ra trappe, relevant à nouveau les yeux. Et sous la peur, la colère apparaît un instant, très court instant. Pourquoi lui faire mal gratuitement? Son bras es crispe sous la prise, elle voudrait le retirer et partir.
Mais Carmen ne trichera toujours pas. Sa main libre se referme, devient un poing qu'elle glisse instinctivement derrière son corps, pour ne pas attiser la colère de l'autre. Elle se fiche de sa nudité, de son apparence. Elle veut juste qu'il cesse de la regarder ainsi, qu'il cesse d'essayer de réveiller ce qui dort.

"Quel endroit?"

Sa voix paraît moins hésitante, plus assurée, une illusion sans doute. Elle a toujours les yeux d'un animal apeuré, blessé.

"Lâchez-moi."

Plus de supplique, presqu'un ordre. La douleur aide parfois à étouffer la peur.

Son poing derrière son dos comme une gamine boudeuse, cette autre main libre qui pourrrait écorcher, griffer, et qui ne fait rien.
Ce poing qui pourrait l'humilier juste au coin du menton.
Elle ordonne
Elle le lâche enfin son petit cri de révolte.
Il se moque

"Laaaachez moi.... oui ma jolie poupée je vais te lacher quand je saurais qui tu es sous ce joli écrin trop parfait.
Souillon. Pourquoi tu t'excuse de ce que je te fais."

Il sourit, ça lui échappe.

Une injure pour la faire réagir, pour qu'elle reprenne le dessus, le dessus sur sa peur. Pour qu'elle se redresse, arrogante, ténébreuse, aristocratique dans ces haillons mal taillés qui lui donnent une allure de poupée grotesque.

"T'es moche comme ça, un bain te ferait du bien. Un bain et te saouler, et t'habiller propre, tu pue.
drapée.
Dans les rideaux.
Du théatre.
Je vais t'emmener dans un endroit propice.
Je vais bien trouver."

Ce même sourire, ces mêmes flammes qui lui tordent les tripes, dans ses yeux l'incendie, l'envie de la persécuter pour qu'elle se défende, pour qu'elle l'agresse, pour qu'il paye, pour qu'il puisse la gifler, la battre, qu'elle se batte contre lui. Juste pour voir. Juste pour ne pas l'approcher vraiment.
Pour faire tomber le masque de la peur. Ce masque qui le dégoute.

Il la lâche, puis la rattrape par une baleine de bustier.

Corset
Lacés
Lacéré
La soie crie

Il l'étire délicatement, défaisant le tissu, laissant cette tige grise se lever comme une griffe, découvrant sa peau laiteuse, là qu'elle n'est pas souillée par son contact ni par celui de la pluie.

Une terre vierge.
De la soie sauvage.
Il cherche un grain de beauté qui l'enlaidirait.
Un grain qui l'irriterait.
Mais rien.
Immaculée
comme de la soie
elle est la perfection même, la larve transformée
Le papillon qui s'échappe mais dont il gâchera la lumière, la légèreté si elle ment.

Un instant il voudrait la mordre. Il le fait. Les pupilles dilatées, à distance.

"Tu ne m'as pas dis ton nom. C'est pas bien quand on fait des croc-en-jambe à des inconnus. De pas dire son nom."

Ah il veut savoir qui elle est? Mais lui, qui est-il à part colère? Il est humain, oui, mais pas de ceux qui vivent pour les bonnes raisons. Et elle, a-t-elle des bonnes raisons d'ailleurs? Aucune, juste celle de vouloir égoïstement vivre. De refuser aussi de se laisser trop écraser. Elle n'aime pas la violence, elle la craint, la rejette. Mais lui, il provoque, encore. Il est plus fort qu'elle, plus fort que ce qu'elle est en ce moment, mais elle ne veut pas le laisser tout maitriser. Carmen, elle tient à sa vie, libre et sans entrave, enfin... Il aura fallu ce sombre voyage pour le réaliser.

Et pourquoi s'était-elle excusée, d'ailleurs? Parce que comme toujours elle cause des problèmes. Comme avant de venir ici, comme depuis le jour de sa naissance. C'est ainsi, et elle en est désolée, humiliée. Elle s'est excusée, et elle l'aurait peut-être encore fait mais...
Elle n'y est pour rien dans la colère de l'autre. Dans ses yeux, elle sait que la rage est à lui depuis longtemps, qu'il est comme ça, et qu'elle est son contraire.
Elle ne veut pas se révolter, elle ne veut pas en venir aux mains. Blesser et être blessé, puis pleurer dans un coin, terré dans la souffrance et la terreur. Elle ne veut pas, jamais plus. L'a-t-elle déjà fait? Non. Non, jamais, elle en est presque convaincue.

Il se moque et sourit d'elle. Mais il a raison, elle est répugnante, dans sa boue, dans tout ce qui lui colle à la peau. Un bain... Quelle bonne plaisanterie! Et quelques gouttes de parfum dans le creux du cou aussi. Pourquoi pas revêtir une robe de soirée et se parer de perles? Un bain... Dans l'eau glaciale de la rivière peut-être? Mais elle est déjà trempée jusqu'aux os, gelée aussi, mais son âme lutte contre ce froid.

Elle n'a que ça, les restes d'un théâtre, pour recouvrir son corps. C'est tout ce qu'elle s'est permise de prendre pour continuer à vivre.
Peut-être qu'il a raison, peut-être qu'elle a besoin de se saouler, de noyer dans l'alcool ses moindre craintes et ses inhibitions, ses vieux airs nobles déchus. Il a raison sans doute, elle est vraiment grotesque.

Elle tire enfin, cherche à dégager son bras, aspire à être libre, libre de rester ou de fuir. De rester plus probablement, puisqu'elle l'avait dit. Mais il la lâche de lui-même, sans qu'elle n'ait eu à s'imposer. Elle veut reculer, un de ses pieds glisse dans la boue, vers l'arrière, mais il l'attrape à nouveau, saisi une partie de son corset et elle n'ose pas achever son pas en arrière.

Le corset s'abime, révélant la peau, soulevant enfin une part d'instinct. Elle recule, s'écarte, attrape le rideau pour s'en servir en bouclier illusoire. La peur change, gentiment. Elle se transforme presqu'en colère, en quelque chose qui veut lutter. Lui assume sa nudité, pas elle. Elle cache.

"Un nom... Est-ce important?"

Juste un nom pourtant. Mais elle n'a pas envie de le dire, protégeant ce qu'elle peut. Elle n'a pas de raison de protéger quelque chose d'aussi futile cependant. Mais elle cache encore un petit peu.

"Ce n'est pas poli non plus, de bousculer les gens, et de demander un nom."

Petite rébellion? Même pas. Si seulement elle pouvait vraiment se rebeller. Mais la danseuse fait bien pâle figure, derrière son rideau.

"Un nom, c'est tout ce que l'on possède. Tout. Le dire c'est comme un aveu. "

Elle tente de se cacher tant bien que mal, la colère enfin pointe son nez derrière le masque de la "politesse". Elle se redresse mais elle est encore une infâme petite femme bossue que l'on maltraite.

"Poli, ce n'est pas poli. Est-ce que tu crois qu'on en est encore à la politesse des sauteries dans cet état là. Regarde toi. Regarde moi. Dis... est-ce que tu préfèrerais que je t'appelle la boueuse, la souillarde ? Peut être que c'est ça qui te manque, un peu de concret, un peu de réalisme. Hein"

Il s'écarte d'elle tenant toujours le fil de fer qui ramollit sous ses doigts brulants. Il hait sa vulgarité. Et sa vulgarité l'amuse. Parce qu'il aime à se jouer de lui-même. Parce qu'il aime provoquer ce qui n'est pas dans la nature des gens. Et visiblement, la colère, ce n'est pas son affaire.

Il recourbe la baleine, la tortille entre ses doigts, la retourne contre le sein blanc.
Couper
Cisailler
Percer
Pénétrer
Poignarder
Déchicheter
Le blanc de sa chair comme un chien, enragé.
Et boire comme un ivrogne.

Blanc comme la neige qui l'a vu naitre.
Blanc comme l'oubli.
Blanc comme le cadavre de la grise.

Un flux de haine à nouveau, à cette pensée, la pensée qu'elle va mourir, loin de lui, qu'il l'a abandonnée aux bêtes. La nausée. La haine qui le submerge. Vite s'occuper l'esprit. Vite ne plus penser que ce qu'il a de plus cher il aime à le détruire.

" Pourquoi tu ne me demande pas mon nom ! "

La pointe comme l'extrémité d'une lame contre sa peau.
Il la retourne brusquement contre lui, Perce son épaule.
Un mince filet de sang s'écoule. Il se met à rire comme s'il allait pleurer. Elle se moque de lui. Il voudrait qu'elle sache.

"Goute. ça réchauffe. Dis toi que c'est un pacte, entre toi et moi"

Oui, il a raison. Un nom, c'est tout ce que l'on peut posséder vraiment. C'est un cadeau que quelqu'un nous offre et que l'on garde, ou que l'on peut choisir de renier. Mais elle, elle le garde, son trésor, ce qui la défini aux yeux des autres.
Non, elle ne lui demande pas le sien. Parce que c'est précieux, et parce que le connaître réduirait la distance implicite. Elle ne sait pas si elle veut le connaitre. Elle n'aime pas connaitre ce qui fait peur. Quand on ne connait pas vraiment, on finit par oublier, et c'est peut-être bien mieux de cette manière.
Oui, elle s'est bien regardée, et c'est parce qu'elle voit ce qu'elle est qu'elle n'ose entacher son nom en le prononçant. Il peut bien l'appeler la souillarde, ne l'est-elle pas en ce moment? La danseuse a décidément connu des jours bien meilleurs que celui-là.
Pourtant elle baisse les yeux, tant par regret de ce qu'elle est devenue que pour suivre la danse de la baleine. Elle n'a pas l'intention de se laisser blesser, elle n'a besoin de personne pour ça. Ce qu'elle veut, c'est...
Elle ne sait plus.

"... L'appellation est moins importante."

Moins, car ainsi, elle reste ce qu'elle veut sans avoir à le montrer. Peut-être qu'elle dira son nom, plus tard, quand il fera moins peur, quand il n'aura plus cette vague de haine qui passe et s'estompe bien trop peu, quand elle saura ce qu'il est avant de savoir qui il est.
La pointe se tourne contre elle, et son corps agit tout seul, elle recule encore. La peur pourtant est moins forte, moins vicieuse.
Elle ne veut pas lui demander son nom, pas maintenant, pas ainsi. Puis il retourne la pointe contre lui, perce la chair, et elle détourne les yeux. Ce n'est qu'un peu de sang, juste un peu, mais bien trop déjà pour elle. Ce genre de pacte, elle n'en veut pas.

"Le froid me parait plus agréable."

Elle perd de son assurance, sa voix semble mourir à nouveau, ses mains se ressèrent sur le rideau. Où disparait la colère et la combattivité? Ses prunelles se tournent à peine vers le filet de sang. Elle n'est pourtant pas dégoûtée, ni même révulsée.
Le sang c'est... Comme une habitude. Comme si déjà elle sentait cette sensation cuivrée dans la bouche, puis dans la gorge, comme si elle s'en était souvent délectée.
C'est dangereux, ce genre d'impression, ça tue le bon sens au profit de la folie. Non, jamais elle n'a aimé le sang. Alors pourquoi maintenant ne trouve-t-elle pas en elle ce quelque chose qui l'oblige à le détester?

"Arrêtez ça."

ça quoi? La blessure? Le sang? La colère? Ou juste ce petit jeu qui lui parait familier malgré l'absence totale de souvenirs? Il est fourbe, manipulateur, et maintenant, il parait s'amuser.

"Arrêtez ça"

Le petit cri de l'ortie.

"Arrêtez quoi au juste.

Judith ?"

Il sourit et l'attire contre lui maintenant qu'elle a reculé tenant le haut de son bustier comme s'il tenait des anses.
Elle feint le dégout. Elle feint la pudeur.
Elle feint et ça l'amuse et il voudrait la faire sortir de ses gongs, qu'elle le déteste, qu'elle le gifle pour qu'il puisse avoir une bonne raison de riposter, de l'agresser.

"Macbeth?"

Il prend gout a ce jeu.
Ramasse un peu de sang sur le bout de la tige comme s'il trempait un pinceau dans le creux d'un vieux tube de rouge à lèvres et d'un geste délicat mais vif pour qu'elle ne lui échappe pas il lui dessine le contour de sa bouche avec la pointe rouge.

"

Massinissa ?

Je finirais bien par trouver tu sais. Ce petit nom que tu caches.
Un nom de femme du monde.
Un nom tragique.
Un nom comme un personnage de roman ou d'opérette c'est ce qui t'irais. Un nom de reine berbère.
Un nom de sainte

Catherine celle de Sienne qui buvait des bols de pue
Thérèse d'Avila bien sur, pas la petite

Un petit nom qui te pique la langue.
Un nom qu'on roule sur le palais.
Un prénom amer comme la cigüe, la frustration, la rancœur.

Beatrix

"Un petit nom qu'on aurait pu donner à un garçon qu'on aurait rêvé fille.
Un petit nom un peu acide.
Et fatal qui contraste avec ta propreté de nymphe et ta beauté de Vestale. La petite icône doit avoir un nom savant,
elle a due être un petit cœur chéri de son papa.

Salomé

Un nom grave pour une naissance cruelle.

Frida
Hermione

difficile à porter

Tout le contraire de ce que tu dégages
Piqué à Shakespeare

Cléo

ambigue
un prénom qui a du chien

Un nom comme un drame que tu caches.
piqué à Mérimée
à Bizet

un prénom de garce arrogante
un prénom qui sent le jupon, les froufrous et la cuisse taillée d'une cavalière
que je ne t'aurais jamais donné

Carmen

Un prénom qui en dit long sur toi, sur ton histoire, sinon...
pourquoi est-ce que tu le cacherais ?

Il a le sourire des mauvais jours, celui de bourreau qui fouine,
celui de Srebrenica
celui qui fit parler Al Fana et mourir Yoshe.

Son corps se crispe, elle ne veut pas se rapprocher, elle essaye de lutter, de rester en arrière, sans réel espoir. Elle ne veut plus affronter son regard, elle veut juste être loin, partir loin de lui et de sa folie contagieuse. Elle est dégoûtée, plus d'elle que de lui. Son poing se détend, sa main attrape le poignet de l'un de celles qui retiennent son bustier. Elle serre, bien trop peu pourtant. Sa main est brûlante, comme tout le reste de son corps.

"Judith?"

Oh non, rien à voir. Elle n'est pas ce nom, bien loin en vérité.

"Macbeth"

Non, elle n'est ni meurtrière, ni folle, elle refuse de l'être, jamais elle ne le sera, même si elle ignore qu'elle l'a été.

"Massinissa"

Elle n'a plus rien de noble, même si elle a voulu croire qu'elle l'était sinon dans le titre, au moins dans la force.
Elle reste silencieuse, continue de serrer entre ses doigts faible le poignet qui la retient, tirant comme si elle pensait pouvoir fuir sa prise d'un simple pas. Mais c'est peine perdue. Elle pince les lèvres, cherche à éviter le sang détourne brutalement la tête, haletante, dégoulinante de pluie.

"La petite icône doit avoir un nom savant, elle a due être un petit cœur chéri de son papa."

Elle ne bouge plus, cesse de tirer. Ses yeux la brûlent, mais ce doit être la fièvre, juste ça. Alors elle les ferme, laisse ses cheveux lui coller au visage, cacher ses traits. Elle ne frémit plus mais tremble à présent, osant à peine entrouvrir les lèvres pour que sa langue enlève ce sang maudit qui commençait à fuir sous la pluie. Sa voix lui parvient à peine, une autre plus sourde marmonne des choses qu'elle n'entend pas mais qu'elle comprend. Des choses qui la pousse à espérer. Il l'aime, son père. Il l'adore autant que sa mère la déteste. Alors vivre ou mourir? Ce n'est pas anodin, mais elle ne veut pas prendre le risque de choisir la mort.

Son nom, c'est tout ce qu'elle a ici, tout ce qui lui permet de savoir qui elle est dans ce lieu de cauchemar, dans cette saison qui est apparue sans la moindre transition à ses yeux, dans cette chose qui essaie de murmurer et qu'elle ne veut pas entendre.

"Repousse-le... Repousse-le ou laisse-moi revenir pour le faire à ta place."

Mais elle ne fait ni l'un ni l'autre. Elle ne l'écoute pas non plus, lui et ses paroles acerbes. Elle n'écoute qu'à peine, le défilé des prénom, des supposition. Mais il ne peut pas savoir. Comment pourrait-il savoir? Pourtant il approche et c'est ce qui lui fait rouvrir les yeux. Une garce arrogante en jupon et froufrous, qui subit les déboires sans le succès de cette autre qui avait porté ce nom en opéra. Ses muscles se tendent, sa main serre subitement avec plus de force.

Carmen...

Elle relève les yeux, il sourit, mauvais, détestable. Elle ne parle plus, elle lance un cri, de rage et de tristesse.

"Silence!"

Et au même instant, la main qui retenait le rideau lâche sa prise et s'envole, rapide, violente, frappe le visage, les ongles en avant, griffant la chaire. Agressif petit chaton. L'autre main relâche le poignet se plaque contre ses lèvres, les yeux s'écarquillent d'horreur. Ce geste, elle ne l'a pas commandé, il lui a échappé.

La pression monte, il la sent entre ses pinces frémir de dégout, et qu'une rage meurtrière semblable à la sienne mugit tout au fond, tout au fond, là bas, au fond de ses pupilles noires qui viennent de réapparaitre, tout au fond de ce torse brulant et blanc.
Un ordre, comme un coup de lame, net, précis.
Articulé.
Et la sentence tombe, la gifle lui accroche le visage, et les griffes la chair.
Enfin, libéré du mensonge, libéré de la tension qui lui ronge les nerfs, de ces cachoteries qui l'empêche d'être elle-même.
La petite main qui claque laisse ses empreintes sur sa peau si lisse...
trop lisse pour une bête sauvage....

Il la lâche brusquement et porte sa main sur sa lèvre, sa joue, suit les sillons qu'elle a creusé avec ses ongles.

"Carmen... Carmen"

Presque inaudible sa voix maintenant,
il a deviné ce nom qu'elle cachait comme un trésor. Il le sait.

Ce nom qui la tiraille.

"Le poème. Dramatique poème.
Carmen"

Et un fou rire lui prend le ventre à la regarder reculer et mettre sa main devant sa bouche pour cacher son effroi.
Mais son rire grince.

Puis il s'arrête net.

Il regarde la pluie couler le long de ses cheveux, former de petites flaques dans ses creux.
Son visage est plus dur qu'un silex, inexpressif, mais ses yeux cherchent toujours à la percer à jour.

"Et bien l'Andalouse on va aller faire un tour au château pour te trouver de quoi faire honneur à ton père qui aurait le cœur brisé de te voir comme ça, tu ne voudrais pas lui infliger ça, n'est-ce pas ?"

Puis à nouveau il sourit, cette fois aimablement, comme si quelque chose s'apaisait de la voir souffrir, de la voir, vraiment horrifiée par son propre geste. Cette chose animale, qui lui a échappé.
Cette chose qui fabrique un lien ténu entre elle et lui.

"Veux tu bien m'accompagner jolie Carmen, que je te rendes les honneurs de cette gifle dans un endroit plus propice ?"

Elle recule encore, enfin libre, sans être capable de fuir pourtant. Sa seconde main suit la première et se plaque aussi contre sa bouche. Jamais elle n'a voulu faire de mal, jamais, et pourtant elle en avait fait. ça bourdonnait dans sa tête, quelque chose de douloureux, de honteux. Quelques larmes se mêlaient à la pluie si étroitement qu'elles n'étaient même pas visibles. Elle n'ose pas baisser les yeux, de peur d'aggraver les choses, de peur qu'il ne lui bondisse dessus, lui rende ce qui lui revenait de droit, en pleine figure ou pire encore.

Maudite réaction! A cause de ça, elle s'était un peu plus perdue qu'elle ne l'était déjà. C'est pénible, ça fait froid dans le coeur, elle n'aime pas ce qu'elle pourrait devenir et refuse de sombrer. Il allait le lui faire payer, il devait le lui faire payer.

Dramatique... ça correspondait bien, très bien, et ça la rendait d'autant plus lamentable. Mais il rit, il se rit d'elle, se moque alors qu'elle venait de le blesser.
Puis il change encore, à tel point qu'elle ne sait plus sur quel pied danser, qu'elle ne sait plus si elle doit tricher et fuir ou rester et tenir parole. Alors elle ne bouge pas, figée dans sa propre horreur.
Il est effrayant, avec son visage de pierre et ses yeux qui la blesse presque. Mais elle ne baisse pas les yeux. Elle baisse les mains, sur ses lèvres entrouvertes d'où s'échappe un maigre filet de vapeur emporté par la pluie qui tombe.

Allait-il subitement faire ce qu'il était en droit de faire? La gifler ou l'insulter? Mais au lieu de ça, il propose, simplement. Il propose un déplacement, une quête de quelque chose de chaud. Mais le château, c'est... Le Manoir, ou... Il n'y avait plus de refuge, et elle ignorait si la bibliothèque ou le Cardinal's étaient occupés par des êtres humains. Mais tout était détruit autour. Tout... Les bêtes avaient dû reprendre le contrôle.

Il... Il y a des monstres."

D'autres monstres que ce qu'il semblait avoir eu en lui. Son regard avait changé, plus calme, moins dérangeant. Elle secoua la tête, sans savoir si elle répondait à sa question ou refusait de suivre son idée.
Et pourquoi lui rendre les honneurs? Dans quel sens? Pour la faire souffrir? Ou pour la remercier de s'être laissée allé, d'avoir lutté au lieu de se contenter de subir? Elle ne savait pas, baissant les yeux sur le sol, se balançant à peine d'un pied sur l'autre, faisant gémir la boue sous elle. Il n'y avait personne d'autre, il y avait eu quelqu'un mais elle avait préféré l'abandonner pour lui laisser une chance de survivre. Mais maintenant, elle se battait un peu plus, il l'avait obligée à se battre.

Alors elle hocha la tête.

Des monstres.... Savait elle vraiment le sens de ce mot la jolie Carmen. De quel monstre parlait-elle, de ceux que l'on imagine, de ceux qui ne ressemble à rien de ce qu'on connait, de ceux qui sont si différents qu'on ne peut accepter leur présence. De ceux qui nous restent de l'enfance quand la lumière s'éteignait, de ceux qui se cachaient dans les armoires, les placards, le frigidaire, derrière la porte des parents.... Ceux qui nous ont faire retenir notre souffle pendant des heures interminables espérant que le soleil se lève encore une fois pour les faire disparaitre. Jouer au mort pour qu'ils ne nous voient pas. Respirer à peine, devenir presque invisible, impalpable.
Et pourquoi ne sont-ils jamais venu nous chercher... finalement.

" De quel monstre est-ce que tu parles."

Le froid commence à hérisser légèrement le duvet sur sa peau.

"Nul monstre n'est plus à crainte que celui que l'on cache.
Que celui qu'on a jour après jour fabriqué avec soin.
Ce monstre ordinaire plein de peur, de rancœur, de haine, de souffrance, de lâcheté.
Le monstre que tu crains est à l'intérieur de toi.
Cette banalité du mal que l'on fait pour faire payer, pour se soulager, par plaisir, ce monstre si simplement humain que nous sommes
il n'y a que celui-ci qui puisse nous faire...
Le moindre mal."

Il s'agite et se gratte les coudes.

"Est-ce que tu crois au Purgatoire Carmen? Quelque chose comme... cet endroit où l'on attendrait d'être jugé? Pour nos crimes."

ça l'agace, cette pluie qui le pique à force de lui caresser la moelle, il voudrait quitter cet endroit, avec elle, mais il a peur que la route n'interrompt quelque chose. Entre elle et lui.
Il est si difficile de lui faire dire quelque chose.
Et sa propre violence il l'étouffe, il la canalise, il essaie, pour tacher de la connaitre.
Il s'approche d'elle.

Faire cesser le balancier de ses pieds dans la boue...

Une simple pression de sa main sur sa nuque, ne pas perdre son regard.

" Quel est ton crime, Carmen. Ne m'oblige pas à.... "

Les monstres, ce sont les autres, ceux qui peuvent faire du mal sans raison. Celui qui nait en soi, ce n'est pas vraiment un monstre c'est juste... Quelque chose qui n'est pas foncièrement mauvais, même s'il peut faire du mal, non? Carmen n'est pas un monstre. Elle le sait, elle en est convaincue. Un monstre fait du mal et s'en délecte. Elle répugne à faire du mal, elle en souffre. Mais si c'est ça être un monstre alors... Peut-être qu'elle est pire que les autres. Elle n'osa qu'à peine relever les yeux. Le froid commençait à s'emparer de lui aussi, du moins elle en avait l'impression. Puis à nouveau les yeux se baissent sur le sol, sur le rideau ravagé par le feu, par l'eau et la terre. Inutilisable. Et elle, elle est un peu couverte, plus que lui, et le froid, elle ne le sent qu'à l'intérieur, pas à l'extérieur.

Elle secoue la tête, ne veut pas accepter qu'il puisse y avoir un quelconque monstre en elle. Il ne peut pas y en avoir, elle ne peut pas en avoir. Sauf qu'elle en a eu un, mais qu'elle ne se souvient pas. Sauf qu'elle l'a toujours d'ailleurs, mais qu'elle ne veut pas l'entendre. Donc si elle peut ne pas l'entendre, c'est qu'il n'existe pas vraiment, non? C'était compliqué, vicieux, répugnant aussi.

"Aussi répugnant que celle qui m'a créée. Souviens-toi, vilaine fille."

Mais elle secoue encore la tête, monte ses mains vers ses oreilles. Il n'y a pas de monstre, pas de voix. Rien que lui et la pluie, rien qu'elle et la fièvre. C'est juste ça, et rien d'autre.

"Il n'y a personne... Personne pour juger. Juste des gens qui se prennent pour des juges, et qui deviennent bourreaux. Il n'y a pas de purgatoire, juste l'enfer. L'enfer, et rien d'autre."

C'était mécanique, comme un poème appris par coeur, comme une règle qu'il fallait savoir, qui valait pour tout. Mais ses mains redescendent, elle relève les yeux, il le lui oblige, elle sent sa main sur sa nuque.

"Mais... Je n'ai pas commis de crime. Je ne suis pas coupable."

Son ton posait plus une question qu'une affirmation. Non, elle n'était pas coupable, sauf de ne pas avoir su se faire aimer, sauf d'avoir créé un monstre, mais pour ce dernier, elle l'ignore, et c'est mieux ainsi.

"Vous avez froid."

Une affirmation cette fois. Il était nu sous la pluie, et elle le gênait.

"Il faut un abri."

Un abri. Oui, un abri pour ...
Te sécher, te dévêtir et te laver. Te désinfecter de cette saloperie. Nettoyer la plaie. Te soigner. Est-ce que tu permettrais. Est-ce que je saurais faire. Autre chose que ces questions. Autre chose que la douleur, que le sang, que l'abandon. T'enrouler ... orangé, jaune, épais, soyeux, vivante, t'enfoncer dans ce lac annelé de la soie, du satin, oui épais et lourd comme une Vierge flamande, tirer quelques fils. Mordre, le tissu qui frémit sous la chair. Photographier.
M'engouffrer, rentrer dans les plis, soulever ton rideau, la camoufle, la cachée, souffler sur les dunes, déplier les cils de soie.....

TUER

Il fait froid. Il fait moite, il fait sale, il fait tout ce qui n'est pas lui, tout ce qui fait la bête.
Vision de sa grise morte qui flotte sur les eaux noires.
Il secoue la tête, nerveusement.

"L'enfer.
Ce n'est pas pour nous Carmen. L'enfer, c'est pour ceux qui ont déjà renoncé. Et nous n'avons pas renoncé, pas encore. Sinon... que ferais tu là, avec moi. Pourquoi aurais-tu été sur mon chemin.
L'enfer c'est la solitude et la torture de cette solitude.

Elle ne bouge pas, elle est comme une poupée précieuse protégée sous son globe de verre pour qu'on ne la flétrisse pas. Elle a due lutter pour être ainsi inatteignable. Insensible au contact de ses doigts.
Comme si son ressort était cassé. Et qu'elle mimait un semblant de sentiment.

Personne n'est innocent sauf peut-être le nourrisson qui vient d'ouvrir les yeux.
Qui a juste eut le temps de les ouvrir.... Après c'est trop tard "

Il s'écarte à la pensée qu'elle pourrait ressentir quelque chose de lui qui tremblerait. Et ce n'est pas le froid. Il s'écarte craignant sa nudité d'homme qui ne la dérange pas. Il l'observe, regarde cette goutte qui perle sur sa lèvre inférieure comme un grain de beauté éphémère, comme la goutte d'eau qui glisse sur la bouche de Madame Bovary quand elle finit son verre ce jour de grande chaleur devant le médecin qui vient soigner son père.

Silence...
Il l'écoute juste respirer. Pensée vers l'Enfer.
Et celle qu'on lui a arraché.

Ses jambes entortillées dans le satin clair d'une lourde tenture, ses cheveux brossés luisant sous une chandelle, et lui qui attache les pinces, lui qui resserre les cheveux indisciplinés électrifiés par la brosse et lui qui rabat le tissu sur ses yeux et sa bouche
rouge sang.

ENSEVELIT

"Allons-y"

[ une préférence ? le manoir ou la bibliothèque, comme tu voudras en tout cas un endroit où l'on puisse, hum, se changer et prendre un bain, et piquer des rideaux..... ] Devil

L'enfer, c'est peut-être la solitude, mais elle l'a elle-même recherchée. Pourquoi? Aime-t-elle l'enfer? Peut-être bien après tout. Et lui alors? L'enfer, c'est les autre, c'est l'autre, celui qui pousse à la réflexion, et à la destruction. L'enfer, c'est l'extérieur, celui contre qui il faut se défendre.
Alors... La pluie est vraiment désagréable, glaciale. Si seulement elle pouvait arrêter de tomber, s'en aller loin, très loin. Les feuilles mortes de l'automne étaient si douces, si fragiles, si... Merveilleuses.
Et pourquoi un printemps à présent? Une mort éternelle était préférable à cette renaissance hypocrite de la nature. Elle ne l'aimait pas, oh non! Et la vallée non plus.

Pourtant elle n'avait pas renoncé, sinon comment en serait-elle arrivée là aujourd'hui?
Ou peut-être qu'elle est morte sans le savoir. Non, elle le saurait, n'est-ce pas? Seulement elle ne savait plus ce qui était réel et qui ne l'était pas.

L'automne était devenu réel pour elle, et maintenant, une pluie de printemps essayait de lui glacer le corps et l'âme. La vallée voudrait-elle en finir? Ou les saisons suivaient-elles un cycle qu'aucun vivant ne pouvait comprendre?
C'était étrange, gênant, troublant surtout. Elle ne savait plus où était le vrai du faux, sans même savoir s'il était important de les différencier.

Alors elle n'est pas innocente. Et c'est sans doute ça qui doit l'effrayer le plus, laisser cette angoisse poindre dans ses yeux noyés de fièvre. Elle ne voulait pas être coupable, mais elle devait l'être.
Fallait-il avoir commis un crime pour arriver dans cet endroit? Alors elle a dû faire quelque chose d'horrible, de monstrueux.
Elle doit être monstrueuse pour être là sous la pluie, n'osant rien faire, sinon suivre, incapable même d'agir pour aider à couvrir un homme sans défense face aux éléments, incapable même de ressentir de la gêne face à la nudité, incapable sans doute de le considérer comme un être humain. Ou il est un être humain et elle... Quelque chose d'autre.
Elle relève à peine les épaules, comme pour chercher à se cacher, à se replier. Elle réalise qu'elle est pire, tellement pire qu'elle ne l'aurait voulu.

Mais ne fait toujours rien, s'engouffrant dans sa propre honte hochant à peine la tête. Elle fait un pas, timide, hésitant, puis un autre, ses yeux baissés sur la boue, sur ses pieds tâchés de boue.
Elle ne peut que suivre, ou rester et abandonner. Mais elle est trop lâche, beaucoup trop lâche pour mourir.

Et elle se dégoute d'elle-même, les lèvres serrées à présent, ses bras se resserrent autour de son corps.
Maintenant, elle commence vraiment à avoir très froid.

[Puis-je suggérer le manoir? Moins fréquenté, et plus idéal pour retrouver notre grise adorée.]

Repliée sur elle-même comme un oiseau fripé, elle ne dit rien, elle hoche la tête, à nouveau enfoncée dans son silence qui la protège, qui lui évite de se compromettre.
Qui lui permet de rester pure, et intacte.
Sa planche de salut.

L'homme-chimère la regarde hocher, acquiescer, plier, déplier, froncer, les bras les yeux le dos, la tête.

A nouveau la plaque de béton lui enfonce les pieds dans le sol.
Bi-Polaire, c'est ainsi que cela se nommait à Mostar ou schizophrène à tendance paranoïaque.
Qu'importe après tout les distinctions.
Les effets de l'un ou de l'autre sont tout aussi détestables.
Ce qui compte c'est le béton qui l'enfonce dans le sol, qui lui englue les organes, le ventre, le bas-ventre, la sensation de la dague qui pénètre sa glotte quand il la regarde, se taire.

Il marche déjà tachant de redresser son dos du mieux qu'il peut, entre le ciel, et la boue.
Quelqu'un a refermé son couvercle.
Sa mâchoire est scellé. il ne pense plus qu'à une chose, oublier la pluie, oublier. Etre au sec et la mettre à l'abri pour le moment.

D'une oreille toujours aux aguets il guette le clapotis des pieds qui l'accompagnent, comme un bruit de fruit trop mur dont la peau craque et laisse jaillir sa moisissure entre les doigts.
Il se dit que décidément le toucher est plus bavard que la langue.
Que ses mains, cruelles mains, qui maintenant sont si lourdes qu'elles semblent vouloir se détacher de lui, sont plus utiles que tout ce qu'il pourrait jamais dire.
Que tout ce qu'il aura jamais dit.

[direction le manoir, tu connais mieux le chemin et les lieux, à toi l'honneur si tu veux bien, à vrai dire, ancienne répugnance de chimère, je ne sais trop par où entrer dans votre domaine]

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