Ideal n’est qu’un sale gamin ambitieux, imbuvable, et qui a une grande gueule – sans idées pour la justifier. Il est posté depuis deux bonnes heures devant une des fenêtres de bibliothèque, à regarder la pluie tomber en se morfondant, le traits tirés et le teint plus anémié que jamais. C’est pas un beau teint pâle genre « je suis un être délicat » qu’il a, Ideal, oh non. Il a l’air malade. Malaria ou jaunisse, au choix. Une saloperie de maladie tropicale qu’il aurait chopée on ne sait où – m’enfin si y’a bien un type à réussir à choper ce genre de trucs à Hollow Dream, c’est bien lui.
Il porte un sweat-shirt moulant noir, zippé jusqu’à mi-poitrine, et en dessous, un stupide t-shirt à tête de mort. The Nightmare Before Christmas, pour être très précis. Un truc qu’il n’a presque pas quitté depuis son arrivée. Bon il l’a lavé quand même – c’est pour ça qu’il n’y a pas d’odeur de fauve assortie. Un jeans, en assez mauvais état. Il s’effiloche en bas, en longs filaments de tissu qui deviennent translucides à force de traîner dans l’eau et la boue. Il a les mains dans les poches, et un air de mortellement s’ennuyer au visage, lèvres comme toujours pincées, regard clair perdu dans le vague.
Peut-être bien qu’il pense à Ashley et au mal qui lui a fait. Il sait très bien qu’il est responsable de sa transformation en chimère, même s’il ne l’avouera jamais. Pour le moment, Ideal porte avec beaucoup de naturel le rôle du salaud. Il en est pas au coup d’essai, faut dire.
Un mouvement le tire de sa contemplation rêveuse du paysage détrempé, et les yeux clairs copieusement cerclés de noir se relèvent, et viennent se poser sur la silhouette fine de Mary, qui semble s’affairer à il ne sait quoi de plus intéressant que lui. Un sourire à l’expression étrange vient prendre place sur les lèvres d’Ideal – mais toutes ses expressions sont un peu folles, il faut dire. C’est pas un type vraiment rassurant, Ideal, on aurait plutôt tendance à l’éviter quand on peut…
Ce coup-ci, Mary pourra pas. Sans enlever ses mains de ses poches, il s’avance vers elle, nonchalamment, l’air de ne pas y toucher franchement mais de ne pas être venu de façon tout à fait pacifique. Les dissensions d’opinion entre humains sont toutes fraîches au sein de la bibliothèque, et la violence de l’opinion d’Ideal en a sûrement surpris plus d’un. Avant, au lieu d’ouvrir sa gueule à tout bout de champ, il s’était plutôt posé en observateur. Maintenant, il fait partie de ceux qui s’opposent le plus violemment – et le plus arbitrairement aussi – à Mary.
Et malgré tout, il l’approche, peut-être pour tester ses résistances nerveuses, allez savoir avec celui-là… Il lui fait un sourire un peu fou, un peu dérangé – sa spécialité, il ne sait plus sourire autrement –, et sa voix s’élève. Trop douce pour des allures aussi peu rationnelles, en fait.
« Alors Mary, tu as d’autres idées géniales pour nous sortir de ce pétrin ? »
Les yeux à la couleur délavée s’étrécissent un peu, à la manière d’un prédateur qui se planque pour mieux observer sa proie. Les mains n’ont pas quitté les poches un peu étroites du sweat à capuche noir, et il attend la réponse de l’ancienne chef incontestée, un sourire aux lèvres. Un méchant sourire, en fait.