Entretien privé

Mary emmena le jeune homme jusqu'à la salle des archives. Elle le fit entrer, sans un mot et referma soigneusement la porte derrière elle. La salle ressemblait à une bibliothèque. Deux pans de murs étaient occupés par des étagères recouvertes de feuilles uu de livres. Il y avait deux tables et quelques chaises, afin de pouvoir compulser les archives tranquillement et plus ou moins confortablement.. Sinon, la pièce était vide.

Mary s'assit donc sur l'une des chaises et invita le jeune homme à s'asseoir en face d'elle. Elle l'observait attentivement. Quelque chose dans la façon de se mouvoir de l'adolescent la fascinait.

- "Voilà, nous sommes seuls. Déjà, j'aimerais te connapitre un peu. Quel âge as-tu? Que fais-tu dans la vie? Et comment es-tu entré dans le coma?"

Elle sourit doucement.

- "Je sais que cela ne me regarda peut-être pas, mais je tiens à connapitre les humains de cette ville. Sache que ce que nous nous dirons ici n'en ressortira jamais. Et que je ne suis pas là pour juger tes actes passés."

Invité

Negai suivit sans mot dire la jeune femme qui avait eu l’air d’apprécier son comportement avec Manuel… Du culot. Peut-être, quoi que non, son geste était simplement du au fait que le jeune homme avait été habitué à quelques égards de la part des gens qu’il côtoyait avant. Plutôt normal si l’on songeait aux services qu’il leur rendait et à l’efficacité avec laquelle il satisfaisait leurs attentes. Mais il est vrai qu’à Hollow Dream, cela pouvait être interprété autrement. Peu importait à Negai, qui de toute manière savait mieux que quiconque que se ratatiner devant plus fort que soi, ou du moins ce qui y ressemblait, c’était signer son arrêt de mort. Cela devait être aussi valable dans cet étrange monde que dans celui dont lui et Manuel venaient.

Après quelques instants à suivre les pas de Mary dans les couloirs, ils arrivèrent devant une porte que la jeune femme ouvrit. Elle laissa le passage libre à Negai, entra à sa suite et referma la porte derrière eux. A première vue, la pièce oscillait entre un bureau mal rangé et un semblant de bibliothèque. Le jeune homme demanderait plus tard à la meneuse humaine ce qu’étaient ces documents, pour le moment il se contentait d’attendre de voir ce qu’elle souhaitait savoir de lui.

La réponse ne tarda pas à arriver, après que Mary se fut assise à l’une des deux tables qui meublaient la pièce et l’eut invité à s’asseoir en face d’elle. Negai se dirigea lentement vers la chaise, et s’assit avec calme, tout en lui adressant un léger sourire, qui pour une fois n’avait rien de sarcastique. Mais comme souvent avec lui, ce sourire disparut bien vite pour laisser ses traits retrouver l’habituelle neutralité qu’il arborait quasi constamment. Mary prit la parole pour lui faire comprendre qu’elle n’avait rien d’un officier de la Gestapo, mais que la prudence et l’intelligence lui commandaient d’en savoir le plus possible sur les humains qui peuplaient Hollow Dream. Normal, après tout lui aussi était venu à elle pour se renseigner.

Bien callé sur la chaise, la tête légèrement inclinée sur le côté et la naissance d’un nouveau sourire se dessinant petit à petit sur ses lèvres, qu’il mordilla légèrement l’espace d’un instant, Negai lui répondit d’une voix calme et profonde :

- J’ai dix neuf ans, et avant de me retrouver devant vous, j’étais gigolo. Je pourrais vous faire un prix étant donné que vous êtes sympathique, ainsi que fort charmante il faut le reconnaître… Pour mon coma, un mari jaloux trouve souvent aisément le moyen de régler son compte au jeune impudent qui a le malheur de ne pas avoir besoin de pilules pour contenter sa femme.

Son sourire était maintenant tout à fait franc, ce qui amena comme un rayon de lumière sur son visage, qui avait un instant perdu son expression trop lisse. Le jeune homme conserva un moment ce sourire, de son plein gré car c’était la première fois depuis le début de son coma et son arrivée ici qu’il se détendait un peu. Il reprit rapidement son sérieux, afin de ne pas fâcher la jeune femme qui s’était montrée jusque là plus qu’aimable.

- Pardonnez moi cette stupide réponse, mais je crois que ce premier entretien avec un humain m’a donné l’occasion d’évacuer un peu le stress de me trouver dans cet étrange monde. Plus sérieusement, au sujet de ce que je pouvais bien faire avant d’arriver ici, ce n’est plus un danger pour moi d’en parler… J’ai bien dix neuf ans comme je vous l’ai dit, mais j’étais tueur à gage pour un clan Yakuza de Kyoto. Une sorte de gigolo somme toute, mais pas vraiment au service du plaisir de ces dames, même si l’on me payait fort cher pour mes talents. Pour ce qui est de mon coma, l’adage dit que l’on meure comme on a vécut. Apparement ce n’est pas faux, un sniper a tenté de m’abattre.

Le jeune homme avait dit tout cela avec une grande décontraction, sa voix se teintant d’ironie lorsqu’il révéla les raisons de son coma. Il fixait maintenant Mary de ses grands yeux noirs, attendant de voir si elle poserait d’autres questions ou si elle le laisserait plutôt demander à son tour qui elle était. De toute manière, il n’était pas pressé, sachant que converser avec une femme aussi intelligente et sympathique qu’elle n’avait rien d’un supplice et que de plus, il ne savait nullement comment retourner dans le monde dont il venait.

La jeune femme avait le menton posé sur ses mains croisées, les coudes sur la tables. Elle écoutait le jeune homme lui raconter qu'il était gigolo et lui faire un prix à elle. Un petit sourire en coin se dessina sur son joli visage. Humour, impudence ou provovation? Peut-être un mélange des trois. Le jeune homme essayait-il de la tester, de découvrir ses limites avec elle? Peut-être...
Cependant, il s'excusa bien vite de ce petit mensonge et de cet humour un peu spécial pour lui raconter sa vraie vie. Un tueur pour les yakusa... inréressant... Pourtant, il était si jeune! Le monde réel était vraiment impitoyable. Nulle expression ne trahit les pensées de la jeune métisse, ni dégoût, ni pitié, ni approbation. Rien. Comme elle le lui avait dit, elle n'était pas là pour le juger et quelques fois, les expressions valent bien plus que les mots. Aussi avait-elle apprit à ne pas trahir ses sentiments. Elle ne lui dit pas qu'elle était désolée qu'il se soit fait abattre ainsi. Non pas qu'elle s'en fichait, mais cela sonnerait creux. Ce qui était fait était fait. Et le jeune homme n'avait pas l'air du genre de ceux qui se contentent de formules polissées, vides de sens.

- "Très bien. Tu es tueur? Parfait! Ces talents te seront plus qu'utile pour survivre ici."

La jeune femme décroisa ses mains et se leva. Elle commença à arpenter la pièce alors qu'elle reprenait la parole.

- "Je ne sais pas ce que toi tu sais sur Hollow Dream, aussi vais-je tout te raconter. A toi après, de tirer tes propres conclusions."

Elle s'approcha d'une des étagères et passa sa main sur un des livres.

- "Ce livre contient l'histoire, partielle, de Hollow Dream, d'après ce que j'ai pu récolter comme informations. Si tu veux en savoir plus après mon petit récit, libre à toi de le consulter."

Elle se retourna vers lui et s'adossa à l'étagère.

- "Comme tu l'as sans doute deviné, Hollow Dream est la ville du coma. Ici se retrouvent les esprits, ou les âmes, cela reste assez flou, de ceux qui ont plongé dans le coma stade 3. Pas vraiment morts, mais pas vivants non plus, ceux qui tombent dans ce coma peuvent se réveiller à tout moment, que ce soit au bout d'1 semaine ou de 30 ans... si ils ne sont pas débranchés avant. Il y a trois sortes d'habitants ici : d'abord les humains, dont je suis le chef. Puis les Ombres et les chimères. Pourquoi ces créatures existent? Parce qu'elles ont cessé d'espérer. Parce que vois-tu, la seule façon de rester humain et de pouvoir revenir du coma c'est d'espérer. Toujours. A aucun moment, on ne doit cesser d'entretenir cet espoir sinon... on se transforme en ombre ou en chimère, selon que c'est la rancoeur ou la colère qui nous habite. Et là, plus de retour possible. Ces créatures sont condamnées à vivre éternellement ici, sauf si elles se font tuer."

Mary se tut un moment, histoire que Negai assimile ses paroles.

- "Les chimères sont des brutes, en générales irréfléchies. Elles tiennent plus de l'animal que de l'homme. D'ailleurs, il n'est pas rare de les voir prendre les particularités de tel ou tel animal. Comme des griffes meurtrières par exemple. Les Ombres, elles, préfèrent le combat psychologique. Elles se nourissent de la peur, de l'angoisse et font tout pour mener leurs proies à ces sentiments. Et crois-moi, elles y arrivent très bien. Leur particularité est qu'elles peuvent se rendre intangible... ce qui est extrêmement agaçant et dangereux pour les proies. Mais, cela leur coute de l'énergie et elles ne peuvent jouer à cela longtemps. La meilleure façon de les abattre, c'est de se servir d'armes à feu. Il est en effet difficile de devenir intangible plus vite qu'une balle de pistolet. Voilà en gros ce qu'il faut que tu saches pour vivre ici."

Elle revint vers sa chaise et s'y assit.

- "Tu as plusieurs options : soit vivre en solitaire et n'obéir qu'à toi-même. Soit nous rejoindre et accepter de suivre mes ordres ou ceux de Kim Logan, mon adjointe. Rassure-toi, nous ne sommes pas très exigentes. Pour être directe : il est interdit de tuer un autre être humain, par vengeance ou rancoeur ou haine. Je me fiche de savoir les motivations, celui qui ne respectera pas cette règle sera bani de notre communauté... voire pire. Seule la légitime défense est autorisée... et encore. Pour survivre, nous devons être unis, c'est la clé! Après, je ne vois pas d'autres règles à vraiment t'énoncer. Tu peux être solitaire, mais pas égoïste. Tu peux partir en chasse si ça te chante, tant que tu ne mets pas la vie des autres en danger."

Elle se pencha sur la table.

- "Alors? Qu'en dis-tu? As-tu des questions?"

Invité

Mary n’avait pas mal prit sa petite incartade au sérieux qui le caractérisait habituellement, au contraire, elle avait même brièvement sourit. Negai lui rendit aussi furtivement son sourire avant de lui exposer sa véritable profession dans le monde humain. Celle-ci ne montra aucune réaction, aucune expression ne trahit ses pensées, qu’elles fussent négatives ou positives. Le sempiternel « désolée » ne traversa pas non plus ses lèvres lorsqu’il lui apprit les circonstances de son coma. Il en fut ravi, le jeune homme détestant plus que tout les formules toutes prêtes, si souvent utilisées par les gens qui ne peuvent garder le silence lorsqu’ils ne savent pas quoi dire. Se taire dans ces circonstances révèle un caractère fort, une assurance indiscutable. Les gens qui n’en sont pas capables sont des personnes trop nerveuses, trop faibles et qui cèdent facilement à la panique. Le comportement de Mary enchanta le jeune homme. Apparemment sur ce point, ils étaient faits du même bois, chose appréciable pour une future alliance. Il fallait se comprendre un minimum pour s’allier efficacement, ainsi que se respecter et la jeune métisse avait gagné tout le respect de son interlocuteur par son attitude aimable autant que son caractère bien trempé. Elle ne semblait pas dénuée d’humour, un autre point positif. Negai songea qu’il n’aurait certainement pas à regretter d’être venu la trouver.

Toujours calmement assis sur sa chaise, il observa la jeune femme maintenant adossée à l’étagère. C’était la première fois qu’il laissait son regard s’attarder sur sa silhouette entière, ayant jusque là fixé son regard sur son visage, tant pour ne pas paraître impoli que pour essayer de cerner un minimum son état d’esprit lorsqu’elle lui parlait. Mary portait un simple pull et un pantalon, néanmoins son corps était fait de telle sorte que ses courbes pleines se dessinaient parfaitement malgré la coupe classique de ses vêtements. Elle était belle et devait parfaitement avoir conscience du fait qu’elle attirait les regards masculins, aussi Negai ne prit pas la peine d’être discret et laissa ses prunelles noires se promener longuement sur les courbes de son corps. Elle était en train de lui livrer l’essentiel à savoir sur Hollow Dream et ceux qui peuplaient les lieux, et pouvait voir que malgré les endroits visités par les yeux du jeune homme, celui-ci était parfaitement attentif à ses dires. Dans les yeux noirs profond du garçon se lisait une intense concentration, qui n’avait rien à voir avec l’autre lueur que l’on pouvait y distinguer, celle du plaisir qu’il prenait à admirer l’élégance et la féminité de Mary.

Une fois qu’elle eut fini de parler des généralités concernant Hollow Dream, elle revint s’asseoir devant lui. Il ne la quitta pas des yeux et observa sa démarche. Elle était altière lorsqu’elle se mouvait, quelque chose d’aristocrate se dégageait d’elle. Les yeux de Negai vinrent se planter dans les prunelles émeraude de Mary, lorsqu’elle reprit la parole. La meneuse des humains lui parlait maintenant des quelques règles à respecter pour ne pas se faire d’ennemis dans le clan ainsi que des options qui s’offraient à lui. Rester solitaire ou se joindre à ses semblables. Le japonais réfléchit un instant avant de prendre la parole pour répondre à sa question :

- Il serait bien stupide de ma part de vouloir me passer de soutien, alors que je ne sais presque rien de ce monde… Mais vous l’avez certainement deviné, je ne suis pas du genre à apprécier les grandes assemblées, et encore moins les ordres. Voici ce que je vous propose : je resterais en dehors du clan pour résider et la seule personne de qui j’accepterais les « ordres » ce sera vous. Je vous offre toute l’aide que vous pourrez souhaiter, ainsi que mes talents de tueur. Je pense que cette situation nous sera profitable à tous deux, appelons ça un échange de bon procédés plutôt que de la subordination, ce mot ne cadrant aucunement avec nos caractères respectifs. En quelque sorte nous nous ressemblons un peu non ? C’est une bonne chose je crois, du moins cela me convient et m’est agréable.

Il cessa de parler un instant, continuant à fixer Mary droit dans les yeux avec une intensité non dissimulée. Le jeune homme appréçiait de se trouver en face d’une personne de caractère et aimait assez la tension qui se créait lorsque leurs regards se soutenaient. Rien de belliqueux dans cette tension, seulement l’expression de deux caractères forts et de personnes qui cherchaient à découvrir ce que l’autre pensait, par delà les expressions neutres de leurs visages respectifs. Le coin droit de ses lèvres remonta légèrement alors qu’il reprit la parole :

- Alors qu’en dites vous ? Le contrat est-il signé ? Une chose tout de même… Je m’intéresserais certainement à ce livre que vous m’avez désigné, mais pour l’heure, moi aussi j’aimerais en savoir plus sur vous et les raisons pour lesquelles vous vous être retrouvée ici.

Les regards appréciatifs du jeune homme sur sa silhouette n'avaient pas échappé à Mary. Cela lui faisait toujours bizzare d'être ainsi la cible des regards masculins, surtout quand ceux-ci étaient à peine sortis de l'adolescence. Quoique, plus elle regardait Negaï, moins, elle ne pouvait lui attribuer ce mot : adolescent. Il était un mélange complexe de fragilité et de force. Il était mince, très mince. mais le plus étonnant était ce visage : jeune, androgyne... Un visage que les adolescents possèdent durant leur recherche d'identité. Par contre, son caractère, son parcours faisaient indéniablement de lui un homme. Bref cette ambiguité plaisait à la jeune femme. Surtout, qu'elle sentait qu'il la respectait, alors qu'elle n'avait pas fait grand chose pour mériter cela... si ce n'était être elle-même et ne pas juger le jeune japonais. Oui, une ralation basée sur le respect s'était installée tout naturellement entre eux et laissait auguré une relation solide à long terme. Cela était parfait!

Elle sourit, quand il lui proposa de faire bande à part, bien que gardant contact avec elle. Elle n'en avait pas espérer moins.

- "Cet arrangement me convient tout à fait Negaï. Sache toutefois que si tu changes d'avis, une chambre t'attendra ici. Et tu as évidemment accès à ce refuge comme bon te plaira. J'y veillerais."

Elle se rembrunit légèrement quand il lui demanda de lui raconter son histoire. Non pas que cela lui déplaisait, mais y penser n'était jamais agréable. Néanmoins, l'ombre passa rapidement sur son visage et la jeune femme redevint impassible.

- "Soit. C'est un échange de bons procédés. Je ne peux exiger des autres, ce que je n'accepterais pas de faire moi-même."

Elle se renversa dans son fauteuil et soupira :

- "Commençons, par le commencement : J'ai 26 ans, bientôt 27 et cela fait un peu plus de 9 mois que je suis ici. Je suis interne en neuro-chirurgie à l'hôpital de la pitié salpetrière à Paris. Je suis née d'une mère française, journaliste et d'un père indien. D'où le métissage."

Elle sourit doucement alors qu'elle repensait à ses parents, à leur amour, si fort.

- "Ma mère est morte quand j'avais 10 ans. Elle était atteinte d'un cancer mais à préféré se donner la mort que de nous infliger sa déchéance. Je suis mariée, à un médecin et j'ai une petite fille de bientôt 2 ans, Sara. J'ai eu un accident de voiture... et je me suis retrouvée ici."

Nouveau soupir.

- "Rien de bien palpitant. Mais j'aime ma vie et c'est pour cela que je me bats pour revenir. C'est difficile, mais quand je doute, je pense à mon mari et à ma fille et l'espoir ne me quitte pas."

Elle regarda Negai, droit dans les yeux.

- "Quand, je suis arrivée ici, c'était le chaos! Les chimères et les ombres étaient plus organisées que les humains. Alors, je me suis imposée et j'ai unifié notre race. Depuis, les créatures se serrent un peu la ceinture."

Un petit sourire cynique recourba ses lèvres.

- "Inutile de te dire que de ce fait, elles ne me portent pas spécialement dans leurs coeurs..."

Son regard lâche celui du jeune homme pour fixer quelque chose qu'elle semblait la seule à pouvoir voir.

Invité

Un enfant, un mari... un foyer. Voilà ce qui retenait la jeune femme de basculer dans le camp des Ombres ou des Chimères. Tout cela lui était étranger depuis le jour de sa naissance, et sa voix fut seule à trahir quelque peu la tristesse qu’il ressentit en y pensant à cet instant. Le regard fixé dans le vide, les mots s’échappèrent à mi voix, la profondeur et la chaleur de sa voix grave légèrement voilées par des intonations réservées, révélant un accès de sentimentalité chez le jeune asiatique.

- La douceur d’un foyer aimant doit être un puissant garde fou pour ne pas se laisser aller… Du moins je le suppose, je n’ai jamais connu cela. J’ai été abandonné à la naissance et me suis débrouillé seul pour survivre dans la rue, avant d’entrer au service des Yakuza l’année de mes dix-sept ans. Il me fut facile de renoncer à avoir des êtres chers autour de moi, ne sachant pas ce que cela était. Mais j’imagine que pour vous il est hors de question de les abandonner. Ce qui peut-être une faiblesse pour un est la force de l’autre. Je n’ai que mon envie de vengeance pour me motiver à rester un humain, c’est un peu triste… mais néanmoins très efficace.

Tandis qu’il parlait, les yeux verts de Mary avaient quitté les siens et semblaient observer quelque chose. Negai se tourna pour voir de quoi il s’agissait, mais ne vit rien. Son sourcil se souleva, signe d’incrédulité et il s’adressa à nouveau à la jeune femme :

- Mary, un problème ?

Dans l’esprit du jeune homme, toute pensée parasite avait été refoulée, afin qu’il puisse réagir rapidement si la situation l’exigeait. Il était concentré, pas tendu mais attentif plutôt, bien qu’il ne pensait pas avoir quelque chose à craindre dans cette pièce…

Mary s'ébroua et reporta son regard vert sur Negaï.

- "Désolée... Je viens de faire une petite replongée nostalgique dans mon passé."

Elle se mordit la lèvre inférieure. Malgré son regard lointain, elle avait perçu la peine du jeune homme, 1er sentiment de vulnérabilité qu'il lui dévoilait.

- "Oui, le fait de savoir qu'un foyer m'attend est ma force. La vengeance est effectivement un bon moteur. C'est dommage que tu n'ai pas connu la douceur d'un foyer... Mais tu t'en créeras un dans l'avenir..."

Elle pencha la tête, un petit sourire aux lèvres.

- "Qui sait? Peut-être feras-tu des rencontres intéressantes ici?"

Elle se pencha à nouveau sur la table, afin de se rapprocher de lui.

- "D'autres question Negaï?"

Invité

Le jeune homme sourit doucement à Mary, qui s’excusait d’avoir été un instant absorbée par ses souvenirs. Il n’allait certainement pas le lui reprocher alors que lui-même s’était laissé aller à un accès de sentimentalisme. Son visage avait à présent retrouvé sa neutralité, exception faite du sourire amical qu’il lui adressait.

Il l’écouta ensuite lui parler d’un futur où peut-être il saurait ce qu’est la douceur d’un endroit où l’on retrouve les êtres aimés, avec un optimisme touchant. Pas le genre d’optimisme naïf qu’ont les gens trop gâtés par la vie, elle était bien trop intelligente pour cela, et avait du voir beaucoup de misère de part sa profession de médecin. Il semblait seulement qu’elle refusait de croire que le malheur puisse poursuivre les êtres indéfiniment. Tandis qu’elle parlait, Negai avait incliné sa tête et porté son regard vers le bas, son sourire s’était teinté d’ironie. Non pas une ironie moqueuse, seulement le signe de son peu de foi en un avenir qui le verrait entouré de chaleur. Difficile de le lui reprocher, quand on est un tueur, il est presque prétentieux de penser que la vie vous accorderait une chose aussi précieuse qu’un foyer…

Mais ce que Mary disait n’était pas totalement dénué de sens. Le jeune homme ne s’était lié à personne durant les deux ans où il travaillait au service du clan, parce que cela aurait été trop dangereux, autant pour lui que ses employeurs ou la personne qu’il aurait pu fréquenter. Les choses étaient différentes ici, il pouvait se laisser aller à être touché par quelqu’un… Toutefois il ne considérait pas cela comme une possibilité, pour la simple raison qu’il ne savait pas s’y prendre. Sentimentalement, son expérience avoisinait le zéro absolu. Negai avait certes partagé son lit avec femmes et hommes, mais les aventures d’une nuit n’apprennent en rien comment construire une relation. De plus, il avait bien trop l’habitude de se tenir à distance, de ne pas se laisser toucher par quiconque au-delà de la barrière du corps.

Lorsque la jeune femme se pencha à nouveau vers lui, il redressa la tête pour la regarder et l’on pouvait lire dans ses yeux noirs de la gratitude pour les sympathiques paroles qu’elle lui avait adressées, mêlée à une sombre résignation, qu’il était pénible de voir chez un garçon aussi jeune.
Il sourit à nouveau, un sourire teinté de mélancolie cette fois, seul indice pour Mary sur l’état d’esprit de son interlocuteur, son regard ne portant plus trace des sentiments qui l’avaient traversé quelques secondes plutôt.

- Une dernière question oui… Allons nous celler notre arrangement comme il se doit, à savoir en buvant un verre dans un endroit un peu plus chaleureux que celui-ci ?

D’un mouvement gracieux, aérien le japonais se leva, puis il contourna la table pour se rendre aux côtés de Mary et lui offrit sa main afin qu’elle se relève à son tour. Se faisant, il ajouta :

- Il est curieux de voir combien les choses futiles peuvent manquer parfois. J’étais très bien payé pour mon travail, et donc habitué à un niveau de vie qui a cruellement baissé depuis mon arrivée ici. Je m’y ferais sans problème, mais je dois avouer qu’il me serait très agréable de déguster un verre de vin, tout en discutant avec une personne aussi charmante que vous… si bien entendu vous n’avez pas autre chose à faire.

Le regard que lui avait adressé le garçon était poignant par les sentiments qu'il véhiculait. Son sourire mélancolique venait renforçer cette impression. La vie du jeune homme n'avait pas dû étre rose tous les jours... Quel effet cela faisait de tuer un parfait inconnu contre de l'argent. Elle, elle s'employait à les sauver, à leur offrir de l'espoir ou une deuxième chance. Elle avait trop connu ce genre d'adolescents, perdus, qui pour survivre s'étaient tournés vers des organismes qui profitaient d'eux. Elle avait vu le desespoir de certain, la détresse d'autres. Elle avait aussi vu l'arrogance et la fierté... Rares étaient ceux qu'elle avait sauvé en les ramenant dans les droit chemin. Et trop nombreux étaient ceux qu'elle avait fini par retrouver, morts... Elle s'arracha à ses pensées et sourit aux paroles de Negai.

- "Oui, je crois que cela peut se faire... J'ai bien un peu de temps pour boire en compagnie d'un jeune homme aussi charmant."

Elle lui fit un petit clin d'oeil et se leva. Elle le guida alors vers la salle commune.

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