Discussions au coin du feu [Privé Matteo Orsena]

*Pfff! Foutu rationnement!*

La rareté des produits frais avait obligé les humains à être économes, au grand désespoir de Lucie, qui raffolait de la nourriture. Mais aujourd'hui, c'était à elle de se servir dans le sacro-saint casier des produits frais: viandes, poissons, légumes... Cependant, les victuailles entreposées depuis des années par les humains sur cette étagère étaient dix fois plus nombreuses quand ils habitaient leur ancien foyer. Mais si le froid empêchait de cultiver ou de pêcher, il permettait au moins de mieux conserver les réserves.

Ainsi, courbée devant le casier, elle jaugeait chaque aliment entreposé dans ce cellier où le froid régnait. Elle finit par prendre un poisson, mais aussi une pièce de viande rouge et de la salade. Car ce jour-là, Lucie devait aussi accueillir un nouveau venu. La veille avait vu arriver trois nouveaux humains, et la jeune étudiante devait "s'occuper" de l'un d'entre eux, qu'elle n'avait d'ailleurs pas encore croisé. Tout ce qu'elle savait à propos de lui, c'était qu'il s'appelait Matteo. Elle se posait pas mal de questions à propos de lui, comme à chaque fois qu'elle accueillait un nouveau. Elle s'était déja occupé de lui cherché des vêtements dans la coursive. Il ne restait plus que le repas. Et, comme à chaque fois que quelqu'un arrivait, on lui donnait toujours un premier repas consistant et varié, car il ne risquait d'en reprendre un de si tôt.

La jeune femme se dirigea ensuite vers le casier des produits en conserve et des féculents, et attrapa un paquet de pâtes, du coulis de tomate et une moitié de tablette de chocolat, pour le dessert. Elle remonta au rez-de-chaussée et se dirigea vers la grande cheminée qui permettait à ce gigantesque édifice de garder une température somme toute assez douce. Mary lui avait dit qu'elle y avait rendez-vous avec Matteo à 13H. La jeune fille jeta un oeil à sa montre. Il n'était que 12h50. Elle commença donc à préparer le repas: elle déposa une grille au-dessus du feu et y déposa quelques vieilles casseroles, certaines remplies de neige fondue, d'autres dont le fond avait été tapissé de graisse animale, selon le met à cuire. Elle retira son manteau qui descendait jusqu'au dessus de ses genoux, et elle déroula son écharpe. L'étudiante était en t-shirt, mais à côté des flammes, elle n'avait pas froid le moins du monde.

Elle s'installa confortablement dans un des fauteuils qui entouraient le foyer, et attendit impatiemment la venue de Matteo.

Invité

Matteo enjamba un amas d’on ne sait trop quoi et poursuivit sa route à travers le couloir qu’il suivait depuis quelques minutes déjà, se glissant ci et là au travers de monticules du même genre qui gisaient un peu partout. En y regardant de plus près, on pouvait y trouver des objets de tous types, des livres, des tables, des chaises, des lampes cassées et autre, mais il y’avait aussi de grands rouleaux de tissus, des cartons fermés contenant dieu seul sait quoi.

Tout ça pour dire, que la vieille bibliothèque qui avait été réaménagée en refuge pour les humains était encore pour le moins en désordre. Les nouveaux locataires n’avaient pas eu pour le moment le temps d’en faire un habitat descend et ça se ressentait. Du moins, c’était déjà mieux que la neige à l’extérieur ou que les décombres de leur ancienne résidence, d’après ce qu’on lui en avait dit. Au moins, ici, ils étaient au sec et au chaud, et à Hollow Dream, que pouvait on bien demander de plus ?

Se repassant sans cesse dans la tête les quelques informations qu’il avait glané la veille lors de son arrivée, il ne parvenait toujours pas à y croire, en fait si, il y croyait, et c’est bien ce qui lui faisait le plus peur. Bon sang, il se trouvait entre la vie et la mort, dans un monde pour le moins étrange et hostile aux humains. Parfait. Cela pourrait paraître bizarre, mais il était heureux, et confiant. Pourquoi ? Comment ? Tout simplement parce qu’il était en vie, et que tant qu’il était pleinement lui, il avait une chance de revenir à son ancienne vie, et surtout de revoir l’amour de sa vie, sa Zoéline.

Pour elle, il allait se battre, il ferait son maximum, peu importe le temps que cela prendrait, il la retrouverait, il le savait. Il était persuadé qu’ils se reverraient, qu’elle l’attendrait, et que tout repartirait comme après un sombre cauchemar, quand l’être aimé vous prend dans ses bras, vous murmurant de douces paroles à l’oreille, et vous souriez, vous riez, vous vous aimez. La vie continue, inexorablement.

Matteo dut emprunter encore deux couloirs et un escalier, car il s’était trompé à l’embranchement précédent. Il n’arrivait pas encore à se repérer correctement, mais cela ne saurait tarder. Il devait se rendre au salon du rez-de-chaussée, d’après ce que lui avait dit Mary Malone, le jour précédent.

Lorsqu’il pénétra dans la pièce, la première chose qui attira son attention fut le feu qui ronronnait dans l’âtre. Il irradiait une douce chaleur qui se diffusait jusqu’à lui, lui offrant une tendre étreinte. Il s’en laissa enivrer un instant, et contemplant les flammes qui léchaient doucement divers instruments utiles à l’art culinaire : casseroles…

De la cheminée, son regard passa aux petits canapés en velours rouge partiellement déchirés qui étaient disposés de façon circulaire face à la bouche du diable. Il eut le loisir d’y découvrir une jeune femme, tranquillement assise, le regard perdu dans le vide.

Il prit une demi-seconde pour graver son image dans son esprit. Elle n’avait pas l’air très grande, moins d’un mètre soixante dix, il en était certain. Assez fine, elle ne prenait pas toute la place dans son siège, toutefois, sa façon de se tenir et les lignes que dessinaient ses vêtements sur son corps, laissaient supposer qu’elle pouvait s’avérer être une adversaire coriace. Ses longs cheveux bruns tombaient en cascade sur ses frêles épaules et encadraient un visage plutôt bien dessiné. Le jeu de lumière que créait le feu illuminait les traits de la jeune femme et particulièrement ses yeux d’un vert intense et profond, on eut pu dire, émeraude. Des teintes rousses étaient également mises en valeur dans sa chevelure, lui offrant un charme supplémentaire. Des lèvres fines et rosées, un nez aquilin, des pommettes peu marquées, bref, un visage somme toute agréable. Matteo la trouva mignonne, jolie.
Un coup d’œil aux alentours lui fit découvrir un manteau et une écharpe délicatement déposés sur un autre fauteuil et son propre sac qu’il avait laissé dans cette pièce la veille au soir. Au moins, était-il toujours là, personne ne l’avait subtilisé et il s’en réjouissait. Il faut dire qu’il contenait des affaires personnelles.

Matteo était vêtu comme la veille, c'est-à-dire, en costume noir classique avec chemise blanche, la classe à l’état pur. Il avait eu le temps de faire un brin de toilette à l’eau froide si bien qu’il se sentait bien, frais et dispo. Apparemment, il n’avait ni son manteau, ni son écharpe avec lui. Certainement devait-il avoir laissé le tout, à l’endroit ou il avait dormi.

Toujours est-il, qu’il s’approcha de la jeune femme, qui semblait enfin l’avoir remarqué. Il jeta un regard à sa montre et vit qu’il était pile à l’heure, tant mieux. Il détestait être en retard.

« Bonjour, vous devez être Lucie ? Je m’appelle Matteo Orsena, enchanté de vous rencontrer Mlle. »

Un léger sourire s’était naturellement dessiné au coin de ses lèvres. Il avait toujours eu le contact facile avec les gens, c’est en partie pour cela d’ailleurs qu’il avait choisi un domaine professionnel touchant au social.

« Bonjour, vous devez être Lucie ? Je m’appelle Matteo Orsena, enchanté de vous rencontrer Mlle. »

Les mots de Matteo extirpèrent Lucie de ses pensées. Elle tourna la tête vers lui. Il devait avoir un peu moins de trente ans, assez grand, carrure moyenne, du moins selon les critères de Lucie. Elle fut saisit par le vert de ses yeux, qui ressemblait à celui des siens, et pas ses cheveux noirs assez longs pour un homme, qui encadraient son visage. Visage qui lui évoqua d'ailleurs Guillaume. Elle n'aurait su dire pourquoi, mais il avait un véritable air de famille avec lui. Elle essaya de le visionner avec des cheveux châtain plus courts et des yeux bleus, pour essayer de savoir si ce n'était qu'une impression ou si il y avait réellement une ressemblance. Elle hésita même à lui demander si ils n’étaient pas de la même famille. Mais se rendant compte que cela faisait plusieurs secondes qu'elle le regardait, elle s'efforça de dissiper ces considérations dans son esprit, et se leva.

"Effectivement, je suis bien Lucie! Ravie de te connaître! Ca te gênes si je te tutoie? Parce que vu qu'on risque de se côtoyer pour une durée sûrement assez longue, on peut laisser les politesses de côté. Enfin sauf si ça t'embête hein, il y a aucun problème je te vouvoierai!"

Elle lui lança un sourire ravi. Il était assez séduisant et, vu la façon de se présenter à elle, il avait l'air d'un parfait gentleman. Elle désigna un fauteuil vide à côté du sien.

"Tiens, assieds-toi! On va papoter un peu si ça te déranges pas!"

Elle se dirigea ensuite vers le feu et vérifia si leur repas était prêt. Et effectivement, il l'était. Elle fit quelques pas vers l'armoire à côté de la cheminée et en sortit deux assiettes en porcelaine, avec une paire de couverts. Elle les posa sur une table basse, qu'elle tira jusque devant les deux fauteuils. Elle retira ensuite les casseroles du foyer, après avoir saisit un chiffon pour ne pas se brûler, et les posa sur la table. Elle donna ensuite une assiette, un couteau et une fourchette à Matteo, lui présenta le contenu de chaque casserole.

"- Sers-toi selon ton envie!"

Elle lui envoya à nouveau un sourire chaleureux, puis lui posa la question qu'elle préférait poser aux nouveaux venus:

"-Alors, tu te souviens de comment tu es arrivé là?"

C'était un petit plaisir que Lucie cultivait: savoir comment la personne à qui elle faisait face était tombée dans le coma. Car bien que certains soit arrivé à Hollow Dream à cause d'un incident assez fréquent, comme un accident de voiture, d'autres étaient parfois plus originaux. Une fois, un homme lui avait raconté qu'il cambriolait une boutique avec deux complices, et qu'ils avaient cassé la vitrine de la boutique suscitée pour pouvoir y pénétrer. Seulement le malheureux, en cherchant à monter sur l'un des présentoirs, il avait perdu l'équilibre et était tombé sur la bordure de la vitrine sus citée. Il s'était littéralement explosé le crâne. Elle avait trouvé ça tellement ridicule qu'elle n'avait pu s'empêcher de rire, ce qui lui a d'ailleurs valu de se mettre un humain à dos. Mais le pauvre s'était fait dévoré quelques jours plus tard par une chimère, alors...

La jeune femme prêta donc l'oreille à ce que Matteo allait lui raconter, en espérant tout de même qu'il ne lui soit pas arrivé quelque chose de plus tragique qu'un braquage raté...

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