Ombre & Chimère, Etrange rencontre [Pv Chahîd] (Hiver)

Des cendres, de la poussière, le noir marié au blanc, le sombre marié au clair, l'ombre mariée à la lumière. L'ombre... Une Ombre, et des pas dans cette neige, des traces laissées dans la cendre. Une silhouette, des boucles brunes, une robe au blanc auparavant immaculé et maintenant gris, taché, souillé.

Une marionette? C'était bien cette impression que l'on avait tellement les pas de Butterfly étaient monotones, comme ordonnés par quelqu'un d'autre. Mais les fils, où étaient-ils? Si marionette elle était, où étaient ces satanés fils? Invisibles dans sa tête, dans tout son être, dans ce qu'il restait d'elle.

Il ne restait de la mariée que l'apparence. Il ne restait de l'être humain que le désespoir qui avait fait d'elle cet être si pâle, cet être si froid, cet être si seul, cette Ombre. Ses mains glissaient de temps à autres sur les ruines qui étaient à sa portée, les doigts se noircissaient.

Des traces de doigts et de pieds dans la neige, sur le rebord de la scène qui était seule restée debout. Seule face à ce qu'il restait du théâtre, seule face aux ruines. Seule. L'Ombre était seule, au centre de cette scène.

Deux prunelles bleu-azur balayèrent ce paysage de désolation avant que les yeux ne viennent à se fermer. Le désespoir grandissant de l'Ombre qu'était Butterfly, sa tristesse, étaient en train de l'envahir un peu plus. Une scène, cette scène aurait pu être la sienne. Cette scène était sienne. Elle l'avait été.

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Des cris, des applaudissements, le concert va bientôt commencer. Le coeur bat à une vitesse qu'elle en aurait presque une crise cardiaque mais qu'importe. C'est toujours ainsi qu'elle se sent avant le début d'un concert. L'envie de chanter, l'envie de partager ses chansons avec son public.

Une main sur son épaule, et elle sait à qui appartient cette main. Lui, celui qui est son espoir, qui est sa vie. Lui... Un sourire, elle se retourne. Le sourire disparaît : où est son visage? Qui est-il? Pourquoi son visage a-t-il disparu? Pourquoi n'y-a-t-il plus rien?

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Des larmes? Non. Aucune larme ne coulait sur le visage de Butterfly. Pourquoi pleurer une personne dont le visage s'était envolé? Tout s'était envolé. Ses ruines n'étaient que le reflet de ce qu'elle était à présent.

Un soupire.

Tout doucement, la longue silhouette se recroquevilla et Butterfly finit par s'assoir sur la scène, le regard fuyant, le regard absent. Un pantin désarticulé, un pantin dans la neige à qui on a coupé les fils et qui ne peut plus bouger. Une poupée cassée...

Al Fana avait maintenant disparu.
Apparition fugitive, douloureuse, presque effrayante.
Chahîd resté seul se demandait s’il n’avait pas rêvé,
si tout ce qu’ils avaient échangé n’était pas le fruit de son imagination, comme le reste…

*comme le reste….*

Adossé aux restes des coulisses il ressassait sans fin les bribes de leur conversation

*conversation… est ce que je peux dire ça… qu’on ait conversé….*

Il regardait le ciel,
ce ciel si pareil à celui qu’il avait tant de fois contemplé quand il était humain,
bien trop humain pour la chimère qu’il était devenu.

Il extirpa quelque chose de sa pelisse qu’il fit rouler entre ses doigts et qu’il fit glisser dans sa poche quant un bruit étrange lui parvint aux oreilles,
il ne se dissimula pas.
Son corps se recroquevilla légèrement, compact, prêt à la riposte.

Une jeune femme venait d’entrer en scène, pâle et mélancolique.
Ses doigts musardaient sur les ruines, se recouvrant de suif.

Que lui importait le monde qui l’entourait.

Elle était si profondément enfoncée en elle-même qu’elle ne vit pas Chahîd l’épier de l’autre côté.

Elle soupira, et d’un pas régulier,
comme scandé par un métronome elle pénétra dans la lumière,
une lumière, oui,
celle que Chahîd imagina.

Elle s’attarda un instant sur les planches désertées, inutiles, comme si elle allait…

*je ne sais pas ce qu’elle allait faire*

Elle se plia doucement en avant, comme happée par le sol.
Puis elle s’effondra lentement dans sa robe tachée.

Corps qui s'enfonce dans les profondeurs d'un fleuve glacé.

*la momariée….*

Trop de pesanteur pour des fils si fragiles lui semble-t-il.
Lasse, elle avait l’air si lasse.

Son corps ne fit pas de bruit en s’asseyant.

La robe s’évasa sur le sol dessinant un calice dans la neige qui parsemait les planches
autour de sa taille gracile.

Chahîd ne bougea pas.

Il huma l’air lentement,
comme il en avait coutume,
prenant le temps d’explorer sa voisine sans qu’elle n’en sache rien.

Il ferma les yeux.
S’engouffra, dans sa pelisse et brisa le silence en grognant :

« ... Toujours aimé les spectacles.... »

Silence.

L'Ombre semblait imperturbable en cet instant. Là, sans être là. Présente, mais absente. Son regard restait inanimé, vide, lointain. Doucement, sa main se leva, avec encore une fois cette impression qu'un fil invisible la soulevait d'une manière qui n'était pas naturelle.

La tête de l'Ombre pencha doucement sur le côté et son regard se figea sur sa main. Bientôt, elle en approcha son visage pour venir renifler sa peau : rien, pas d'odeur.

Les sourcils de l'Ombre se froncèrent doucement : elle n'était rien.

Ni vivante.

Ni morte.

Rien.

Puis une voix s'éleva, presque un grognement. Cela attira dès lors l'attention de l'Ombre.

"Hm..."

Ce fut là un murmure presque inaudible, un soupire.

Tout doucement, l'Ombre pivota sur elle-même, sa longue robe agrandissant l'immense trace qu'elle avait laissée dans la poussière. Sa main retomba doucement sur les planches sans un bruit. Son visage laissa enfin transparaitre une émotion : la curiosité.

Curieuse Butterfly, curieuse...

Les yeux observaient, scruttaient. Il se fixèrent finalement sur l'endroit d'où la voix était venue. Quelqu'un... Quelque chose se cachait là.

"Loup... Ou es-tu?..."

Un étrange sourire enfantin étira les lèvres pâles de l'Ombre qui commença à ramper doucement sur la scène pour s'approcher du loup. Des boucles brunes glissèrent lentement pour venir onduler autour du visage de la mariée.

La mariée brisée, la mariée abandonnée, la mariée oubliée...

Doucement, elle arriva jusqu'au bord de la scène. Ses doigts fins, âbimés, vinrent s'aggriper sur le rebord et elle s'allongea avant de poser son menton sur ses mains. De nombreuses mèches de cheveux ombragaient son visage.

Plus un geste, plus un mot.

Son regard était fixé sur cet endroit où elle avait entendu le loup et ne s'en détachait plus. Quand allait-il sortir de sa cachette? Allait-il la dévorer? Serait-ce si grâve cela devait arriver?

"Loup... Ou es-tu?..."

"Je suis là, Madame…
Je me suis réveillé de mes rêves, rien de plus. "

*Elle se mit à ramper dans son linceul râpe,
laissant derrière elle sa trace dans la poussière.
Méduse vénéneuse que la curiosité fait échouer sur la grève.
Je la regardais s’avancer, féline et mystérieuse, d’une beauté étrange,
presque mystique.
Je la regardais, courbant l’échine comme un petit animal, avançant lentement, sensuelle et,
espiègle,
sa voix cristalline chantait dans le désert de cette scène bien trop grande pour elle
et où elle ne savait marcher sur ses deux jambes
comme l’aurait fait avec morgue n’importe quelle comédienne
mais elle, non,
elle avait choisit de l’arpenter,
à quatre pattes,
humblement,
presque timidement,
comme une enfant malade qui ne veut pas apprendre à marcher. *

"Je te dis le danger d'en faire.
Des rêves."

*Je ne sais pas pourquoi elle me fit cet effet là, Chahîd… Mais elle m’évoqua des souvenirs lointains enfouis dans ma mémoire,
des soirées folles et heureuses à exulter de joie dans les théâtres d’Europe
où la vie tout à coup allégée ne me pesait plus.*

"Je connais la vie, et c'est une vilaine cuisine, sois-en persuadé.
Ne mets pas la main là-dedans, si tu respectes quelque chose."

*Ses deux mains agrippées là, je les ai regardé,
j’étais presque ému, tu comprends Chahîd ?
Est-ce qu'il te reste un peu de ça...

Je lui ai dis ce qui me venait à l’esprit, ces mots si puissants,
ceux là qu’on entend jamais dans la vie ordinaire,
ceux là que le fracas des armes à toujours couvert,
ceux qui me sont venus comme...
comme une bouffée d’air après des heures d’asphyxie,
est ce que tu peux le comprendre ça…*

"Et me voilà dans la rue, moi, Yoshe Mandelstam ?
et les enfants ne me jettent pas de la boue ?
Les lits des filles sont encore chauds de ma sueur,
et les pères ne prennent pas, quand je passe,
leurs couteaux et leurs balais pour m'assommer ?
Au fond de ces dix mille maisons que voilà,
la septième génération parlera encore de la nuit où j'y suis entré,
et pas une ne vomit à ma vue un valet de charrue qui me fende en deux comme une bûche pourrie ?

L'air que vous respirez, Madame, je le respire ;
mon manteau de soie bariolé traîne paresseusement sur le sable fin des promenades ;
pas une goutte de poison ne tombe dans mon chocolat ;
que dis-je ?
ô Madame !
les mères pauvres soulèvent honteusement le voile de leurs filles quand je m'arrête au seuil de leurs portes ;
elles me laissent voir leur beauté avec un sourire plus vil que le baiser de Judas,
tandis que moi,
pinçant le menton de la petite,
je serre les poings de rage en remuant dans ma poche quatre ou cinq méchantes pièces d'or."

*Ferme ta gueule.*

"Suis-je un Satan ?

Lumière du ciel ! je m'en souviens encore ;
j'aurais pleuré avec la première fille que j'ai séduite,
si elle ne s'était mise à rire.

Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne,
je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice,
comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de la Fable.
Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front.
J'avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant ;
ô Madame !
j'entrai alors dans la vie ;
et je vis qu'à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ;
tous les masques tombaient devant mon regard ;
l'humanité souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte digne d'elle,
sa monstrueuse nudité.

J'ai vu les hommes tels qu'ils sont,

*Tu vas la fermer oui!!!!!!!*

et je me suis dit :
Pour qui est-ce donc que je travaille ?"

*Mais j’ai continué…
malgré tes menaces…
Est- ce que tu ne pouvais pas te calmer et entendre ce que je lui disais à voix basse ce jour là,
quand elle s’est approchée de moi...*

"Lorsque je parcourais les rues de Srebrenica,
avec mon fantôme à mes côtés,
je regardais autour de moi,
je cherchais les visages qui me donnaient du cœur,
et je me demandais :
Quand j'aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ?
J'ai vu les républicains dans leurs cabinets ;
je suis entré dans les boutiques ;
j'ai écouté et j'ai guetté.
J'ai recueilli les discours des gens du peuple,
j'ai vu l'effet que produisait sur eux la tyrannie ;
j'ai bu dans les banquets patriotiques le vin qui engendre la métaphore et la prosopopée ;
j'ai avalé entre deux baisers les larmes les plus vertueuses ;
j'attendais toujours que l'humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d'honnête.

J'observais comme un amant observe sa fiancée en attendant le jour des noces."

*Je t'ai dis de fermer ta gueule !*

"Tu ne veux voir en moi qu'un mépriseur d'hommes ;
c'est me faire injure.
Je sais parfaitement qu'il y en a de bons ;
mais à quoi servent-ils ?
que font-ils ?
comment agissent-ils ?
Qu'importe que la conscience soit vivante, si le bras est mort ?
Il y a de certains côtés par où tout devient bon :
un chien est un ami fidèle ;
on peut trouver en lui le meilleur des serviteurs,
comme on peut voir aussi qu'il se roule sur les cadavres,
et que la langue avec laquelle il lèche son maître sent la charogne à une lieue.

Tout ce que j'ai à voir,
moi,
c'est que je suis perdu,
et que les hommes n'en profiteront pas plus qu'ils ne me comprendront"

*Tu ne m’as pas laissé finir… comme toujours… comme toujours….*

"C’est beau hein, la tambouille théâtrale !
Quand j’étais vivant j’aimais bien ce genre de conneries.
Tu dois aimer ça aussi, les belles phrases.

Approche toi, viens, créature.
Je ne vais pas te manger.
Viens t’asseoir que je vois mieux ton visage et tes yeux."

*Que tu dépèces son âme comme tu as dévoré la mienne….*

Et si tout ça n’était qu’un autre rêve parmi tant d’autres ?

Non.

C’est plutôt un mensonge, une illusion, un espoir vain.

Des mots, des mots, encore des mots qui dansent, s’emmêlent, s’entrechoquent dans cette valse qui ne semble pas vouloir cesser. Pourquoi lui dire tout cela ? Pourquoi lui donner ces mots pour les lui reprendre ?

Qu’il se taise… Qu’il cesse donc de mentir à ce pauvre papillon aux ailes arrachées qu’est l’Ombre. Pourquoi ne voit-il pas qu’on les a arrachées ? Pourra-t-il jamais les lui rendre ? Le voudrait-il seulement ? Non, qu’il ne dise rien, qu’il ne promette rien : les ailes, jamais personne ne pourra les lui rendre.

Silence. Elle écoute. Elle l’écoute, lui.

Les mains de l’Ombre se détachent dans un mouvement si lent qu’on pourrait le croire au ralenti. Quoi ? Le temps cesserait-il de s’écouler ? Pour elle, pour la mariée, il a déjà cessé de s’écouler. Le temps s’est arrêté, la montre s’est cassée, l’image s’est figée. Elle n’est plus qu’une vieille photo, enfermée dans un cadre. Les yeux se ferment, et la voilà sur le dos. Les bras en croix, les doigts qui filent et dansent parmi les cendres dans un étrange ballet.

-Les belles phrases.

Oui, il a arrêté.

Ils arrêtent tous un jour ou l’autre. C’est mieux, c’est tellement mieux. Elle le savait, n’en doutait pas : un mensonge, des paroles en l’air, rien de plus, comme tout le reste.

S’approcher ?

Ah bon, il ne va pas la manger… Peut-être le veut-elle, qu’est-ce-qu’il en sait ? Egoïste.

La statue qu’elle était se moue à nouveau, sur le dos, maintenant sur le ventre, puis le dos se courbe, la voilà à genoux, la poupée désarticulée bouge.

Elle rampe, encore un peu plus, et ses ongles laissent des traces sur ce vieux bois, mort…
Mort comme son âme, comme tout son être.
Et voilà la jambe gauche à vue, sa peau si blanche, si froide. Elle descend de la scène, et son corps tout entier la suit : c’est juste mécanique. La jambe, il ne l’a vu qu’un très bref instant puisque voilà que la robe vient déjà la cacher.

Cette vieille robe abîmée, cette vieille robe déchirée.

Déchirée.

Comme les ailes du papillon.

Elle est là la poupée, debout, elle ne bouge plus. Elle est de cette beauté que l’on n’oublie pas, que l’on n’oublie jamais.

Puis un pas, un autre. Doucement, on aperçoit son visage. Oui, de plus en plus près. Les boucles brunes ne cachent plus ni ses joues, ni ses yeux, ni ses lèvres. Qu’elle approche donc encore un peu, voilà.

-Moi je n’aime pas les belles phrases.

La voit-il maintenant ? Ses joues fines, creuses, blanches. Ses yeux d’un bleu si profond qu’on s’y perdrait mais ce regard tellement mélancolique, tellement… Vide. Et ses lèvres, qui ont gardées cette teinte rosée. La voilà, juste devant lui, la poupée cassée.

-J’ai froid…

Tout est froid. Son corps, son cœur. Les mains se joignent sur ce cœur mort, puis glissent doucement contre sa gorge. Le regard dévie, elle ne le regarde plus.

-C’est comme si j’étais devenue muette. Pourquoi je ne peux plus chanter ? C’est à cause du froid, n’est-ce-pas ? Le froid me paralyse, moi, mes sens, tout. Avant le froid je pouvais chanter. Avant… Mais plus maintenant. Tu me parles des rêves, mais moi je n’en parle pas. Je ne rêve plus. Le rêve n’existe que pour eux. Juste pour eux. Nous... De quoi pourrait-on rêver de toute façon ? De quoi pourrais-je rêver ?

Tais-toi Butterfly, tais-toi.

Un soupire. Le regard de l’Ombre se repose doucement sur Chahîd. Ses yeux à lui, elle veut les voir. Elle veut le voir.

Le loup. Son loup.

-Toi, pourrais-tu me réchauffer pour que je puisse chanter ? Je pourrais chanter pour toi.

Elle approche, lui ne bouge pas il attend et son sang gronde , son cerveau siffle comme un paquet de serpents rageur.
Elle est d'une beauté d'un autre age et il haï sa beauté, sa beauté d'ombre qui lui rappelle celle qui a emprisonné son cœur de bête
Ses boucles brunes dessinent d'étranges arabesques, t
out en elle est plus léger qu'un duvet d'oiseau

"Qu'est ce que je peux faire de toi!
Je te touche et je t'émiette
Je t'embrasse et tu t'éteins comme une chandelle mouchée trop vite
Juste un petit crachat pour que tu cesse d'exister
Approche encore plus prêt"

Sa beauté l'embrume, il a apprit à se méfier des ombres, de leur perversité, de leur incommensurable peur qui fait qu'elle se nourrissent du désespoir des autres.
Il écoute cette voix à peine audible cassée par la vallée, cassé par le passé, la mal mariée

*Bouffe lui la langue!*

.....

Tu ne peux....

sa main se crispe sur sa cuisse et ses griffes acérée pénètrent sa chair, il aime sa douleur, ça le soulage.

"Tu n'aime pas les belles phrases et tu veux chanter.
Tu n'aime pas les belles phrases et tu traines comme une mauvaise actrice sur le plancher d'un théâtre,
petite ombre tu n'es qu'un moineau perdu et je suis le rapace qui te guette.

Ce n'est pas le froid qui t'empêche de chanter mais ta douleur, ton angoisse.
Tu veux la soulager en visitant la vilaine bête que je suis.

Approche plus près de moi.
NE ME CRAINS PAS ou je te dévore...."

*Arrache lui ces yeux, ces yeux là sont bleu, regarde elle a volée ton ciel, elle a volé tes yeux*

Il tend les bras d'un geste brusque et lui saisit la gorge à pleine main, incendie sa poitrine quand il la projette contre lui, la serre au point de lui broyer les os, la tête massive approche, un grondement sourd s'échappe de sa gueule démesurée face à ce minuscule visage.

"Si je t'écoute tu chanteras, c'est comme ça que vont les choses et les êtres, rends moi les mots que je t'ai offert et que tu méprise l'ombre, chante! Je vais t écouter comme personne ne t'as jamais écouté je te le dis, ces choses que je t'ai dites, il n'y a pas de mensonge dans ce que je dis, ne me prend pas pour tes godelureaux du passé, pour ces cafards d'humains qui geignent et mentent par lâcheté par manque de tout"

Sa chaleur bestiale l'envahit, la pelisse avale la vilaine robe, il l'étreint avec fureur, il la hait de le séduire, il la hai parce qu'elle n'est pas sa grise, parce qu'elle a la grâce des femmes bien éduquée sans la sauvagerie des bêtes.
Et pourtant, il ne peut s'empêcher de toucher cette porcelaine de ses mains indociles.
Tout dans la bête convoite.
Tout de la chimère veut.

"chante moi ton histoire et si tu ne peux chanter, hurle la, crie là! Décharge ta rancœur et ta douleur, enfouies toi, enterre toi, ai confiance dans la bête qui d'un coup de dent pourrait te faire disparaitre,

s'il faut que je te fasse mal pour qu'un son sorte de ta bouche
je n'hésiterais pas une seconde

DIS MOI CE QUE TU VEUX DE MOI POUR QUE TU CHANTE!

je le veux .
Je veux entendre les voix perdues....

CHANTE! et après seulement tu danseras pour moi, je t'offrirais le bal de tes noces.

Brusquement il enserre la gorge et ferme les yeux.
Il soupir comme un vieil ours endormi
libérant toute la chaleur qu'il peut pour la réchauffer.
L'homme en lui ne périra jamais, parce que l'amour a planté son dard sans sa chair, l'amour de cette espèce étrangère et triste.

Mais si tu la touches, si tu la serres, si tu la réchauffes, elle chantera pour toi l'Ombre. Elle chantera. Si tu l'aimes, même si tu lui ments, ce n'est pas grave : Elle chantera parce qu'elle t'aime. Tu la maudis, tu la brises, et pourtant, elle chantera, parce qu'en elle, tout est déjà brisé.

Est-il seulement possible de la briser plus? De rendre le désespoir encore plus profond? De laisser un trou encore plus béant dans le coeur de l'Ombre?

Son coeur.

Froid.

Mort.

Et si elle saigne, est-ce-qu'elle a mal? Et si tu lui parles comme tu le fais, a-t-elle peur? Mais non. Parce que si tu veux la dévorer toute entière, pourquoi t'en empêcherai-t-elle? Aucun sort ne peut-être pire que celui que la lie, à toi. Toi Chimère, elle Ombre éteinte, disparue.

A tout jamais.

Alors même si tu la menaces, même si tu serres sa gorge de tes mains fortes, même si tu lui brises chaque os, elle ne t'en voudra pas. La douleur n'est qu'illusion. La douleur n'est qu'éphémère. Mais la douleur donne l'impression que l'on vit. Oui : Que l'on vit. Rien que pour ça, elle va rester dans tes bras.

Brises-la. Arraches-lui la peau. Fais la souffrir pour qu'elle ait l'impression de ressentir quelque chose en dehors du désespoir.

Les mains de l'Ombre, quand tu la serres comme ça, elles glissent sur ton visage. Les mains froides, frêles, finissent leur course sur ta nuque et puis, elle t'enlace. Elle n'a plus que toi, à côté de ce théâtre en ruine, symbole de sa vie brisée, à jamais effacée.

-Mes noces...

Le visage de l'Ombre se fige. La mariée cède, se laisse aller. La mariée n'a plus rien à perdre. La mariée veut être réchauffée. Un murmure, à peine, et les mains de la mariée glissent maintenant sur la main qui tient sa gorge serrée.

-Laisses-moi chanter...

Les mains de l'Ombre serrent, tiennent, retiennent la main de la Chimère. Sa main... Il ne doit pas retirer sa main.

~Cold nights of loneliness
~Dark nights of emptiness

Les yeux de l'Ombre se perdent, se vident, se ferment.

~I stood there waiting
~But the summer came too late

Trop tard oui. Quel été? Il n'y a que le froid, le froid qui la gèle, le froid qui la transperce.

~Seasons unfold
~Stories lie untold

Mais la voix s'envole, parce qu'il est là. Parce qu'il la réchauffe. Parce que, petit à petit, même s'il la dévore, il la libère de ses chaînes.

~And still my heart is waiting
~Summer came too late

La mariée n'avait plus chanté depuis si longtemps. Cela lui semblait une éternité. La voix cristaline s'éteind doucement et les doigts se crispent sur la main de la Chimère. La mariée anéantie a chanté : Pour lui, rien que pour lui. Mais elle a mal. Elle a mal à son coeur encore engourdi. Elle a mal à son coeur.

-Le papillon a terminé son voyage...

Un sourire bien triste, bien mélancolique.

-Merci...

L'Ombre remercie la Chimère. L'Ombre ne pourra jamais oublier la Chimère.

-Puis savoir ton nom?

Avant de disparaître?

Ses mains déserrent leur éteinte quand elle les saisit pour le tenir plaquées contre sa gorge.
Si frêle.
Elle a des mains glaciales et ses petits doigts sont comme des marionnettes,
des glaçons aux formes oblongues.
La gorge vibre, elle vit et les sons s'élancent et la voix éclate, l'éclabousse.
Il chuchote

"Je ne croyais pas que tu chanterais pour moi. Quel est ce poison que tu m'instilles Ombre.... comme le reste de tes semblables"

Sa voix l'ensorcèle, elle réveille l'appétit, l'appétit de vivre, de broyer, de tuer, d'aimer.

Le papillon a terminé son voyage... Merci..... Puis-je savoir ton nom ?

Elle n'est qu'un souffle, une brise légère, elle ne pèse presque rien, sa beauté rayonne sur les planches du vieux théâtre.

"Chahîd, c'est mon nom "

Il l'étreint brutalement, accrochant ses griffes, trouant ses haillons.

"Et le voyage n'est pas terminé. Pas encore.... Tu ne peux pas m'offrir tout ça et me l'arracher ensuite "

Maintenant ils dansent dans le silence épais. Ils dansent et la robe laisse des trainées plus sombre dans la poussière, il ne peut détacher son regard du sein plein de mélancolie quand il n'a plus lui que de la colère à offrir. Il la fait tourner de plus en plus vite avec des pas de valse décousus partout écoutant le froufrou de ses jupons sur le plancher qui grince, doucement comme un bateau qui dodeline dans les vagues.
Il la fait tourner pour qu'elle oublie de partir.
Pour que ce moment de grâce ne s'arrête pas. Une trêve entre leur deux espèces.

"Est-ce que tu aimes danser.
Avec moi"

Il s'appelle Chahîd. Chahîd. Lui.

Son nom résonne dans la tête de l'Ombre, encore, et encore. Il résonnera longtemps encore, mais lorsqu'ils se seront quittés. Son étreinte est forte. Puissante. A lui en briser les os. A l'empêcher de respirer.

Mais elle ne respire plus. Non. Plus de coeur qui bat. Plus de sang qui palpite à ses tempes. Plus rien.

Alors elle, elle l'enlace. Parce qu'il lui donne l'impression qu'elle n'a pas qu'une Ombre. Parce qu'il lui donne malgré lui un semblant de vie.

Semblant de vie.

Il l'entraîne dans cette danse, dans cette valse qui fait tourner la tête de l'Ombre. Cette valse qui lui permet, pendant quelques instants, de tout oublier.

Elle tourne, elle tourne, elle tourne.

Avec lui.

Il en arrache un sourire à l'Ombre. Et il est doux ce sourire, il est rêveur. C'est comme à ses noces. C'est comme avec... Qu'il ne s'arrête pas. Qu'il ne s'arrête surtout pas. Qu'il continue encore, et encore, de la faire tourner.

-Moi, j'aime danser avec toi Chahîd...

Et le front de l'Ombre se pose contre l'épaule de la Chimère. Un geste insensé. Un geste risqué. Un geste incroyable mais voilà. Elle ne veut pas qu'il s'en aille. Qu'il soit Chimère importe peu. Il importe. Lui importe.

-Si je te promets de chanter encore pour toi, tu me feras encore danser? Tu ne m'abandonneras pas?

Allez Chimère : Promets-lui! Tu peux lui mentir, qu'est-ce-que ça change? Elle veut que tu lui mentes. Elle préfère que tu lui mentes plutôt que de souffrir de la vérité. Dis-lui que tu vas rester...

Dis-lui...

» Ombre cachée dans l'ombre
» Etrange visite...
» Aprés une rencontre étrange...[pv kim]
» Chahîd
» Ci-gît mon fou Chahîd